Terminale Hysteria

Terminale Hysteria

Mise en scène par Tatiana Baumgartner, Léa Katharina Meier / L’ Arsenic – Centre d’art scénique contemporain (Lausanne) / Du 27 novembre au 1er décembre 2024 / Critique par Loris Ferrari .


28 novembre 2024

Bienvenuexs dans une réalité qui ne peut être ignorée

© L’Arsenic

Bienvenuexs à Terminale Hysteria, une ville caniveau, sale, putride et cruelle, où toutes les normes sont tournées en dérision, brisées et déformées. Dans leur nouvelle création, Tatiana Baumgartner et Léa Katharina Meier font plonger les spectateuricexs dans un abîme de folie. Une confrontation directe à de la violence physique et verbale, des montagnes-russes de situations et d’émotions dans une surabondance de circonstances brutales.

Bienvenuexs à Terminale Hysteria, et accueilliexs par notre narratrix Karen-Karen, propriétaire du bar de « la Grande Lolette, de la Grosse Sucette, de la Grande et Grosse Zézette ». Le quatrième mur est immédiatement brisé. Les mots sont crus, le ton est donné, ce spectacle sera un « viol de la langue française ». En effet, dans cette métropole point de règles fixes ; tout n’est qu’absurdité, folie et une destruction des normes de notre société en apparence si proprette. Á Terminale Hysteria, les spectateuricexs sont plongéexs dans un univers de violences physiques et verbales insoutenables : le harcèlement violent constant que subit chacun des personnages est représenté sur le mode de l’excès et du grotesque, amené par le kitsch des décors et des costumes : des néons aux couleurs criardes, l’utilisation de la stroboscopie, des costumes aux épaulettes démesurées, ainsi que des éléments de décor visuellement frappants et presque malaisants, comme une langue géante en carton-pâte ou le logo du bar de la « Grande Lolette ». Point d’histoire continue, mais une suite de sketchs centrés autour de la vie de la ville et rythmés par les interventions de Karen-Karen entre chaque scène.

Bienvenuexs à Terminale Hysteria, où vivent Quatre Monsieur Monsieur touxtes différents mais unis dans une frénésie démesurée et constante qui permet aux spectateuricexs de les découvrir, de s’émouvoir pour eux et d’être forcéexs à entrer dans leur intimité. Comme l’unex des acteuricexs le dit au début : « Qui ne dit mot consent. ». En entrant dans la salle, les spectateuricex perdent leur consentement, confrontéexs à une vision insupportable à laquelle iels ne peuvent plus échapper. Heureusement des moments du spectacle font rire ou simplement respirer un instant avec les shows de Karen-Karen, des instants musicaux ridicules et émouvants. Tout est tellement percutant que le contre-choc de ce qui a été vécu lors du spectacle arrive après la représentation comme si l’esprit, s’étant protégé face à l’insoutenable, avait cherché à se préserver. Lorsque les émotions sont finalement libérées, le coup est dur et l’entièreté du spectacle prend sens : montrer l’incapacité ou le déni de l’humain à réagir face à ce qui est trop douloureux. Seul moyen de protection, l’ignorance ne fait qu’empirer la situation.

Bienvenuexs à Terminale Hysteria , ici point de genres précis, tout est fluide. Il y a un papa, une maman, une papa, un maman. Les normes sont tournées en dérision, celui qui se fait harceler n’est point celui que l’on pourrait s’imaginer, le soi-disant « sexe faible » non plus. Dans une inversion des rôles, des sexes avec un tel excès et une telle folie, la question du genre est finalement écartée : tout le monde peut subir des violences abjectes et innommables. Ce sont les situations qui constituent le message du spectacle, du repas de famille interrompu par des violences domestiques au harcèlement de rue. L’instant le plus fort est peut-être le harcèlement de Monsieur Monsieur en costard rouge, harcelé par une femme qui le poursuit et qui devient un homme. Monsieur Monsieur se fait brutalement attraper et arracher ses vêtements pour se retrouver seins nus (des faux) qu’iel arrache comme pour s’émanciper d’un genre qui ellui serait imposé. Mais dessous d’autres seins, comme si rien ne pouvait changer. C’est donc couvert de sang avec un corps qui n’a pu être changé qu’iel sort de scène.

Bienvenuexs à Terminale Hysteria où il est impossible d’ignorer ce que l’on voit. Tout est dans la démesure et la véhémence. Pour une fois, il faut se confronter à la réalité. Les spectateuricexs subissent, vivent avec les personnages : touxtes sont complices des événements de la métropole et personne ne ressort propre, car finalement personne ne l’a jamais été. Qui n’a pas vécu ou vu des situations de violence, de harcèlement et des choses abominables sans avoir réagi ? Qui peut sortir de la salle du spectacle complètement innocent, sans être mis à mal pas l’excès, l’exagération, le grotesque et l’absence de filtre de Terminale Hysteria ? Personne.

Bienvenuexs à Terminale Hysteria qui n’est pas une ville imaginaire ou une illusion, mais notre société sans le voile qui la recouvre. Si cette esthétique de l’excès peut rendre le spectacle éprouvant, tout finit par prendre son sens et frapper là où il faut grâce aux excellentes performances de Tatiana Baumgartner, Léa Katharina Meier, Maria Fernanda Ordoñez et Dominique Gilliot. La réalité n’a jamais semblé aussi douloureuse et pourtant il semble que ce ne soit pas irréversible, le spectacle cherchant à enlever un voile qui banalise la violence : si assez d’humains s’en rendent compte, la société peut-elle changer ?

28 novembre 2024


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