Six°
Conception et mise en scène par la Cie FLIP Fabrique / Théâtre du Passage (Neuchâtel) / Du 23 au 24 novembre 2024 / Critique par Odile Jaques .
23 novembre 2024
Par Odile Jaques
Cinq personnes et une maison
Au Théâtre du Passage, la compagnie de cirque FLIP Fabrique et le jongleur et clown Jamie Adkins présentent au public leur spectacle dans, autour et entre les murs d’une maison. Iels nous racontent ces vies qui l’ont remplie, des scènes quotidiennes aux grandes émotions qui n’arrivent qu’une fois.
Un soir de pluie 2008, Robert (Aaron Dewitt) arrive dans une maison. D’autres personnes (Amélie Bolduc, Colin André-Hériaud, Shane Minerich, Justine Musseau) vivent dans cette maison. Iels le voient, mais il ne les voit pas. Fantômes ? Esprits ? Traces du passé ? Iels ont touxtes un journal vert et Robert en reçoit un lui aussi. Plusieurs numéros s’enchaînent et on comprend les vies passées de ces êtres : leurs histoires dans les murs de cette maison nous sont racontées en kaléidoscope. À la fin, Robert voit les présences qu’il soupçonnait et iels réunissent ensemble leur carnet vert pour finalement les disposer à plusieurs endroits sur scène.
On trouve peu d’histoire dans ce spectacle, un peu comme au Cirque du Soleil où le fil narratif ne sert qu’à placer le décor des numéros. Ici, les seuls points communs sont les bouts de vie vécus dans cette maison. Les carnets finaux peuvent aussi bien contenir les histoires personnelles écrites par chacun des personnages que leurs observations visant à résoudre le mystère de la maison et de ses fantômes. Cependant, les mimes pendant les scènes sont très clairs et on comprend immédiatement ce que les personnages sont en train de faire, souvent sans un seul dialogue. De plus, les moments à plusieurs, que ce soit du mime ou un numéro de cirque, sont extrêmement bien chorégraphiés et les personnages zigzaguent entre eux avec une fluidité incroyable pour faire leurs affaires chacun de leur côté. On en regretterait de n’avoir qu’une seule paire d’yeux. Ce flou narratif peut créer une difficulté pour les spectateurices à s’investir dans l’histoire et ses personnages, mais il rend également l’histoire plus poétique et plus universelle.
Dans cette subtilité et cette retenue de l’élément narratif, la voix de la maison, qui s’exprime de manière claire et forte, tombe presque comme un cheveu dans la soupe. Elle parle significativement, plus que le reste des personnages, et nous éclaircit une bonne partie de l’histoire, mais manque parfois de subtilité et de poésie.
Cependant, les numéros de cirque sont, eux, plein de subtilité et de délicatesse. La technicité et la difficulté des numéros réussissent à éblouir les regards des profanes en matière de cirque (ce qui est mon cas). Quelques numéros sortent du lot, comme Shane Minerich au trampwall (trampoline contre un mur), Justine Musseau et ses prouesses au hand stand et Colin André-Hériaud et Aaron Dewitt et leurs portés. Mais le plus mémorable a été celui de la roue de Cyr, excellemment raconté par les mimes du personnage qui pleure et déchire une lettre, sur une musique de Leonard Cohen « happens to the heart ». Les figures magnifiquement bien exécutées et la lumière participent à transmettre l’émotion – on comprend parfaitement la tristesse, celle peut-être d’une rupture amoureuse – et rendent ce passage mémorable.
Quelques erreurs ou quelques manqués ont pu apparaître lors de l’exécution des tours, mais les artistes ont su se rattraper et repartir à la perfection. De plus, ces défauts ont deux avantages. Ils nous rappellent que nous regardons un spectacle en live et que ce sont des humains qui font les tours. Ils témoignent également de la prise de risque des artistes qui ne se contentent pas de la facilité et sortent de leurs zones de confort quitte à commettre des erreurs dues à la fatigue ou à la technicité des tours.
Il ne reste plus qu’à saluer la beauté des costumes, dans des couleurs chaudes qui rendent nostalgique, ainsi que les excellents choix de musiques qui accompagnent parfaitement les numéros, joyeuses quand il faut l’être mais déchirantes dans certains numéros.
23 novembre 2024
Par Odile Jaques