Conception et interprétation par le collectif Foulles / La Grange – Centre Arts et Sciences (Lausanne) / du 18 au 20 avril 2024 / Critique par Noelie Jeannerat .
Le cerveau mou de l’existence
Un cerveau pour cinq
23 avril 2024
Par Noëlie Jeannerat
Le bruit des cigales, et ce presque rien duquel tout va pourtant naître. C’est avec une vue plongeante sur un parterre de matelas roses que le public s’immerge dans la représentation d’un espace neuronal proposée par les membres du collectif Foulles. Durant une heure, les corps des cinq danseurs n’en forment qu’un, se mouvant d’une place à l’autre, tourbillonnant sur eux-mêmes avant de se laisser tomber dans ces nuages de coton.
Où sommes-nous ? L’ambiance flottante qui plane dans la salle est étrange. Sur un sol recouvert de matelas, quatre êtres humains se reposent. Rien ne bouge, ou du moins, très lentement. Il n’y a que quelques battements métronomiques qui résonnent dans la salle. Les corps se déplacent, progressivement. Rien ne semble presser ces larves ambulantes. Des jambes et des bras se lèvent ici et là, puis, ceux du cinquième danseur de la troupe se font soudainement apercevoir derrière un matelas. Tous sont dorénavant réunis dans ce nid douillet auquel est intégré le public, puisque, placé le long de deux côtés de l’espace scénique, il en est le cadre.
Les spectateurs sont à l’affût du moindre geste. L’attention est palpable et l’attente longue avant que quelque chose d’inattendu se produise…Vêtu sobrement d’un short en jeans et d’un t-shirt bleu, l’un des cinq artistes présents sur scène se met à bâiller. Bouches grandes ouvertes, les autres lui emboitent le pas. C’est la première intervention vocale du spectacle. La succession des bâillements, plus ou moins prolongés, s’emballe jusqu’à reconnaître progressivement la célèbre chanson de Céline Dion My heart will go on. Leur fréquence juxtaposée au changement du timbre de la voix offre un moment musical aussi magistral que surprenant.
Le collectif Foulles fait entrer les spectateurs dans un espace représentant le cerveau humain. Dans un méli-mélo de corps qui se tordent dans tous les sens, les danseurs ne se lâchent jamais. À l’image des neurones, ils se répondent et restent continuellement interconnectés. Des mélodies rêveuses à la tonalité indi-pop accompagnent ce chaos organisé et créent une ambiance douce et colorée. Le rose malléable de nos cellules nerveuses est remplacé par la mollesse des matelas sur lesquels les danseurs s’adonnent à divers sauts et apprennent, à l’image de l’existence humaine, l’art de la chute et la délicatesse de l’atterrissage.
Les allers et retours d’un bout à l’autre de la scène se font toujours plus pressants et les gestes plus élaborés, jusqu’à l’apparition de la parole qui clôt la création. Sur une fresque de lits de coton, un tutoriel vidéo est projeté : une jeune femme, gants en caoutchouc aux pieds, apprend à ses abonnés à se rapprocher de l’élément « eau » en mimant le dauphin. Cette scène finale, à la dynamique radicalement différente du reste du spectacle, interroge de manière saugrenue notre rapport à la connaissance. En décrédibilisant le recours à l’utilisation d’un langage se voulant savant, le collectif questionne notre rapport à la construction de la vérité établie sur des expériences externes à celles vécues personnellement. Cette séquence audio-visuelle réussit à faire sortir les spectateurs de la salle avec un grand sourire au bout des lèvres et une pointe d’absurdité en bouche.
23 avril 2024
Par Noëlie Jeannerat