Par Julie Fievez
Une critique sur le spectacle :
My Epifunny / de Marco Berrettini / L’ Arsenic Lausanne / du 11 au 16 octobre 2022 [du 26 au 29 janvier 2023 à la Comédie de Genève] / Plus d’infos.
Entre incompréhension et mécontentement à la sortie de la salle de l’Arsenic, le public n’est pas unanimement favorable au nouveau spectacle du chorégraphe et danseur Marco Berretini. Sur scène, un chien et un drone accompagnent cinq autres personnes dans leur quête de l’épiphanie : face à un cours de gymnastique particulièrement sportif et à un capitaine aux élans de divas, les spectateur.rice.s sont confrontés à une série de propositions en apparence sans lien. Sans provoquer d’épiphanie, le spectacle semble toutefois venir questionner ce qu’un public est encore en droit – ou non – d’espérer lorsqu’il vient au théâtre.
Cacophonie et incomplétude du geste
L’espace scénique se fait et se défait au fur et à mesure. Une plateforme d’environ deux mètres de hauteur découpe l’espace du plateau en deux zones, de façon intrigante. A peine les spectateur.rice.s sont-ils installé.e.s qu’un drone entre en scène dans une lumière blanche diffuse. Différents lieux, parfois inaccessibles au regard – en fonction de la place que l’on occupe dans les gradins – sont activés par le jeu des comédien.ne.s. Les murs sont eux-mêmes le support de nombreux jeux d’ombre. Certaines performances se jouent sous les arcanes, d’autres utilisent les coins du plateau. Les coulisses encore, ou les rangées de sièges dans la salle sont le lieu de numéros singuliers. Face à ces nombreuses potentialités, les spectateur.rice.s allongent le cou, espérant trouver, dans ce qu’ils ne voient pas, la solution à leur incompréhension. C’est finalement dans la plateforme elle-même, élément visible aux yeux de tous.te.s, présence stable et rassurante, qu’ils vont chercher un semblant de linéarité auquel s’accrocher lorsque, face à eux, tout semble s’éparpiller.
En effet, ce n’est pas seulement l’espace qui est cacophonique, les identités elles-mêmes ne sont pas stables : Antonella Sampieri, par exemple, joue son propre rôle de comédienne mais aussi celui d’une professeure de sport, d’une chanteuse, ou d’une cheffe de réunion. Comme le drone, chaque individualité émerge du groupe pour une brève apparition – changeante, difforme, presque surjouée. Les personnages ne semblent pas entièrement à leur place, abandonnant rapidement leurs projets respectifs ou manquant l’effet escompté par leur numéro.
Leurs gestes, mêmes, ne semblent pas aboutis : les corps se cherchent sans se trouver, différents et pourtant complémentaires. Diversité de tailles, de corpulences, d’énergie, et pourtant, l’élément militaire présent sur chacun d’eux rappelle le semblant d’uniformité auquel doit se contraindre la représentation. On retrouve aussi des duos presque hypnotiques dans lesquels, malgré la similarité des mouvements, une certaine désynchronisation donne l’impression d’un travail inachevé – ou, en train de se faire. Jouant sur les limites de l’échec, Berretini semble donc proposer, tout de même, l’incomplétude comme une clé possible de compréhension de son spectacle.
Plaire ou ne pas plaire
Par la même occasion, reprenant certains éléments qui avaient provoqué le scandale pour son spectacle No Paraderan en 2004, il vient bousculer les spectateur.rice.s, les amenant à reconsidérer leur rapport au théâtre. En effet, à travers notamment la lecture monotone de messages WhatsApp concernant l’élaboration du spectacle – faite de rendez-vous manqués ou de départs inattendus – ou encore l’évocation des codes du music-hall – on pense à la performance marquante de Bryan Campbell sur Hurt de Johnny Cash – ou du théâtre contemporain – toujours Campbell, cette fois nu, mais tout aussi marquant – ce sont les différents mécanismes sur lesquels repose le dispositif théâtral qui sont interrogés. En juxtaposant différents éléments , il tend à questionner ces différents codes et leur effet. Aussi, si le spectacle en lui-même n’est pas une révélation pour son public, peut-être l’amène-t-il toutefois à le révéler à lui-même – ses tocs et ses caprices, ses petites manies et ses grands rêves pour ce que devrait être une pièce réussie.