Une critique sur le spectacle :
Aveugles ou comment se donner du courage pour agir ensemble / Écriture et jeu Le joli collectif (Marie-Lis Cabrières, Vincent Collet, Fanny Fezans, Vincent Voisin) / mise en scène de Vincent Collet, avec la collaboration de Pierre Déaux / La Grange / du 6 au 7 octobre 2022 / Plus d’infos.
Vincent Collet propose une pièce de théâtre sur la manière d’agir en groupe. La pièce s’inscrit dans une réflexion sur la manière de concilier l’individu et le collectif. Quatre personnages, deux femmes et deux hommes, réfléchissent ensemble au moyen de sortir un groupe de l’inertie et de créer une action collective. Pour y parvenir, ils imaginent différentes expériences, sans les concrétiser, qui les amènent à tester toutes sortes de situations par la pensée.
La pièce est très librement adaptée des Aveugles de Maurice Maeterlinck, qui évoque un groupe d’aveugles parti en promenade avec un prêtre. Mais leur guide meurt et le groupe se retrouve livré à lui-même. Ils discutent alors de la conduite à tenir, sans pour autant réussir à agir. Ces questionnements servent de point de départ à la pièce de Vincent Collet.
Le dispositif choisi est très épuré. Le plateau est nu, quatre chaises sont placées en demi-cercle, face au public, suffisamment proches pour que les personnages puissent discuter et assez éloignées pour qu’aucun d’eux ne puisse se toucher. Tout au long de la pièce, ils restent sur leur siège et échangent sur leurs idées. La simplicité de ce dispositif donne une grande place aux dialogues et à l’expérience de pensée : comment essayer de percevoir ce qu’ont ressenti les aveugles livrés à eux-mêmes ? Et comment faire l’expérience de leur désarroi face à l’inconnu ? Petit à petit, le questionnement évolue. De nouveaux enjeux surgissent : comment agir en collectif, mais sans que personne n’ait l’ascendant sur les autres ? L’envie d’expérimenter est au cœur des débats, mais finalement, aucun des personnages ne réussit à passer à l’acte. L’expérience devient fantasmée et souvent comique. Grâce à leur imagination, les personnages font l’essai de bien plus de possibilités que s’ils avaient concrétisé une expérience. Par leurs paroles, ils voyagent et emmènent les spectateurs dans différents lieux. Non contents de se déplacer virtuellement dans l’espace, ils font exister par leur seul discours une vache, un faon ou encore un propriétaire mécontent. Ils vont jusqu’à créer des interactions avec eux.
Si le décor est très dépouillé, les lumières accompagnent beaucoup le jeu des comédiens. Elles permettent de changer d’atmosphère. Elles s’accordent avec les tentatives d’expériences imaginées. Elles évoquent le lieu auquel les personnages pensent : un champ verdoyant, les dunes d’une plage, la mer. Ainsi, elles resserrent l’espace scénique ou mettent en avant l’un des protagonistes, emporté par son imagination. Le public se laisse lui aussi emporter par les récits d’expérience et on finit par ne plus savoir si celles-ci se passent dans l’esprit des personnages, si c’est le souvenir d’une expérience passée ou si elles sont vraiment vécues. Il y a un basculement : l’action collective ne passe plus par les gestes concrets, mais par les mots et l’imagination.
Le spectacle invite donc à une expérience de pensée, pose beaucoup de questions, sans pour autant y apporter des réponses. Et s’il n’y a pas de solutions claires, c’est peut-être qu’il faut poursuivre la réflexion individuellement.