Festives fourberies

Par Mélanie Carrel

Une critique sur le spectacle :

Les Fourberies de Scapin / d’après Molière / mise en scène Omar Porras, Teatro Malandro / TKM -Théâtre Kléber-Méleau / du 27 septembre au 23 octobre 2022 [puis du 13 au 23 décembre 2022] / Plus d’infos.

© TKM

13 ans après leur création au Théâtre de Carouge, les Fourberies de Scapin du Teatro Malandro renaissent de leurs cendres pour enflammer le public du TKM. Un spectacle débridé et populaire qui tire tous les fils de l’humour au service d’une comédie aussi déjantée que délicieuse.

Noir salle. Un bistrot-guinguette apparaît, illuminé par un juke-box et une lampe vacillante. Au loin, une ville aux airs de livre pop-up se détache d’un ciel bleu aux nuages dodus, situant d’emblée l’action dans un monde à l’imaginaire décalé. L’espace du bistrot est complété par des toilettes à jardin et une cuisine à cour, que l’on devine à travers une porte battante et un rideau multicolore. La fenêtre du bistrot, donnant sur le lointain, permet une mise en scène cocasse de l’arrivée et du départ des personnages. Conçue tout en profondeur et en transparence, la scénographie offre aux comédiens de multiples espaces de jeu à la fois sur et hors scène qui nourrissent l’imagination du public.

Ce bistrot accueille les soucis de cœur d’Octave, qui s’est secrètement marié à l’élue de son cœur et ceux de Léandre, qui s’est épris d’une jeune esclave égyptienne. Tous deux vont faire appel au valet Scapin, connu pour sa ruse et sa force de persuasion, afin de régler leurs problèmes respectifs : maintenir le mariage avec Hyacinthe pour Octave et délivrer Zerbinette de l’esclavage pour Léandre. À partir de ce moment, le public se délecte des tours de passe-passe imaginés par Scapin qui mène adroitement le père d’Octave et la mère de Léandre par le bout du nez.

Les costumes kitsch aux couleurs franches, les postiches et les perruques donnent une allure surnaturelle aux personnages. Tout ceci est encore renforcé par la direction d’acteur, très corporelle, de Porras, qui demande à ses comédiens une performance physique impressionnante, qu’il s’agisse du corps voûté de Monsieur Argante ou l’inclinaison et l’agilité de Scapin, si caractéristique de la corporalité des zanni de la commedia dell’arte. Un jeu aux mouvements rythmés, marquant les accents soit du texte, soit de la musique, vient enrichir la partition polyphonique qu’est ce spectacle.

Aux côtés des personnages principaux, le public fait également la connaissance des employés du bistrot qui s’affairent à l’entretien de l’établissement avec une minutie et une lenteur à toute épreuve. S’occupant tantôt de la cuisine, tantôt de déboucher les toilettes ou de polir avec soin tel ou tel objet décoratif, ils insufflent un quotidien décalé à la farce de Molière. Responsables des changements de décor qu’ils effectuent telle une grotesque chorégraphie, les employés du bistrot réagissent également de façon chorale à l’action, comme un reflet déformé du public.

Les spectateurs ne sont d’ailleurs pas en reste et deviennent complices de Scapin. Le valet rusé ne cesse de les taquiner et de leur demander de l’aide, ne serait-ce que pour trouver Madame Géronte ou pour faire peur à l’avare mégère en se faisant passer pour une armée de fantassins agités. Le public entretient ainsi une relation privilégiée avec l’attachant fourbe et est intégré à la farce. Le texte de Molière est agrémenté de quelques allusions à l’actualité politique (retraite des femmes à 65 ans, JO d’hiver en Arabie saoudite…) et de références à la pop culture (Queen, Julio Iglesias…), clins d’œil efficaces accueillis dans un (sou)rire entendu. Comme d’habitude, la création du Teatro Malandro est un événement non seulement théâtral, mais également social, où scène et salle se réunissent pour fêter l’art et la vie sous une pluie de serpentins.