Munich-Athènes

Munich-Athènes

D’après Lars Norén / Mise en scène de Nastassja Tanner et Grégoire Strecker, Cie NT / Le Pommier, Neuchâtel / du 27 au 30 avril 2022 / Critique par Isabelle Fasnacht et Noémie Jeannet .


Le Cauchemar de l’Athènes-Express

02 mai 2022

© Le Pommier

Les fondateur.ice.s de la jeune Cie NT, Nastassja Tanner et Grégoire Strecker, proposent au Théâtre Le Pommier Munich-Athènes, un huis clos de l’auteur suédois Lars Norén. La pièce place un couple, David et Sarah (Quentin Bouissou et Nastassja Tanner) au cœur des thèmes chers à Norén que sont notamment les troubles psychiatriques et psychosociaux. La scénographie exploite à la perfection la disposition et les qualités propres à la salle du Pommier et parvient, associée au travail de la mise en scène et des acteur.ice.s, à créer un spectacle qui joue avec les limites de l’horrifique et de la perception pour exposer un pan cauchemardesque de la nature humaine.

Sous la haute arche de pierre de la salle, dans une semi-obscurité rampante et les visages rendus terrifiants par l’angle d’éclairage, David et Sarah conversent. Ils ont le temps, le trajet pour Athènes via l’Europe de l’Est dans lequel ils se sont embarqués va durer deux jours. Enfin, s’ils restent dans le train jusqu’au bout. Rien n’est moins sûr, tant, à chaque arrêt, l’un.e ou l’autre menace de s’en aller. On apprend qu’ils sont en couple depuis 9 ans, enfin, peut-être 7 — il devient évident que certains aspects de leur relation n’ont jamais été clarifiés.

Le dialogue détonne à tout point de vue. Des sous-entendus constants créent très rapidement un contexte de sombres histoires d’abus et de violences conjugales, de dépendance et de souffrance, de non-dits et de fantasmes. À plusieurs reprises, l’un.e déclare l’autre malade, perturbé.e, dangereux.se — les termes de schizophrène et psychotique sont régulièrement assénés. Pourtant, le ton utilisé ne suit pas le conflit sous-jacent : la voix des deux membres du couple est généralement basse, voire chuchotée, et particulièrement traînante et contrôlée pour David (à quelques exceptions près). Ce ton dissonant et menaçant rend possible une transgression supplémentaire : les personnages alternent entre des pensées intimes et des adresses claires à l’autre, mais se répondent souvent en brisant la logique attendue au théâtre. Par exemple, Sarah peut entendre et répondre à un commentaire particulièrement violent de David qui n’était sans doute destiné qu’à lui-même, tandis qu’elle ne perçoit pas ou ignore une question directe. Les frontières entre pensée et parole, projection mentale et réalité ou encore raison et folie deviennent soudainement dangereusement poreuses.

Autour de ces deux voix et visages, il y a un silence pesant et une noirceur presque totale, à l’exception d’un tableau de surtitres. Le texte affiché est majoritairement composé de didascalies — car les deux personnages sont figés à leur place et n’effectuent pratiquement aucun autre mouvement que ceux, particulièrement marqués, de leur expression faciale. Cette dissociation entre action et parole accentue encore un sentiment d’étrangeté que vient achever le traitement de l’espace lui-même. La lumière, vacillante et nébuleuse, brouille les traits des visages des personnages et ne donne pas à voir le fond de la scène, que l’on peut alors facilement imaginer comme un tunnel sans fin, et où l’on discerne à peine, par moments, une forme humaine qui se meut, à la limite extrême de la perception visuelle.

L’incertitude généralisée qui sous-tend l’entier du spectacle se voit donc augmentée par le relent d’une peur primale, une peur irrationnelle du noir, du vide, mais aussi des recoins insondables de l’âme et des créatures qui y rôdent. Une réalisation magistrale qui laisse le public fasciné et presque tétanisé, pour qui seule la chaleur des applaudissements permet un retour complet à la vie.

02 mai 2022


Un voyage grinçant

03 mai 2022

© Le Pommier

C’est un huis clos angoissant, mais réussi que la compagnie neuchâteloise NT nous propose avec leur nouveau spectacle Munich-Athènes, basé sur un texte de Lars Norén. Les deux comédiens, Nastassja Tanner et Quentin Bouissou, nous transportent dans la relation tendue entre David et Sarah, un couple voyageant en train jusqu’à Athènes. Le public est comme immergé dans la réalité d’une relation malsaine, grâce à la puissance des mots et à un jeu d’acteur pénétrant.

L’installation scénique de Munich-Athènes est d’une simplicité presque effrayante. En effet, une longue table noire gît au milieu de la scène. Au bout à droite, David est assis face au public. Sarah, quant à elle, est assise sur le côté de la table, à gauche. Ceux-ci ne se font donc pas directement face. La scène est plongée dans le noir, hormis la partie centrale où une faible lumière éclaire la table ainsi que les personnages. En fond de scène, en hauteur, un petit écran affiche des phrases tout au long du spectacle faisant office de didascalies servant à indiquer les mouvements des personnages, qu’ils ne reproduiront d’ailleurs pas sur scène. Ces phrases projetées contribuent seulement à alimenter l’imagination des spectateurs sur les moments d’action entre les personnages. L’ambiance sonore elle aussi est presque réduite à néant : il n’y a pas de bruitages évoquant un train comme des bruits de freins lors de l’arrivée en gare, ou encore le son de voix dans les cabines d’à côté. Ensuite, comme les personnages se meuvent très peu, on est comme aspiré dans leur discussion, oubliant par conséquent qu’ils sont en fait à bord d’un train, en route pour Athènes.

Cette scénographie minimaliste nous amène à nous concentrer presque exclusivement sur le texte de Lars Norén, auteur suédois connu pour ses thématiques sombres gravitant autour des problèmes psychosociaux ou encore de la perversion sexuelle. Lors de leur voyage entre Munich et Athènes, David et Sarah vont échanger sur leur relation qui dure depuis 9 ans. Ils ont l’air de se détester, s’insultent, se critiquent, ne se comprennent pas. Une sorte d’attachement affectif est présent entre eux, mais on comprend rapidement que leur relation est toxique. Sarah, en particulier, semble extrêmement frustrée et désemparée face à cette situation. David, de son côté, apparaît comme une personne très névrosée et manipulatrice.

La mise en scène et le texte amènent ainsi à penser que Sarah est la victime dans cette relation. On le remarque parce qu’elle est beaucoup plus fréquemment tournée vers David quand ils discutent que celui-ci l’est envers elle. Elle veut également trouver des solutions aux problèmes de leur couple en expliquant, par exemple, ses états d’âme. David, pour sa part, ne fait aucun effort, la traitant d’enfant qui parle trop ou même de « pute psychotique ». Sarah s’agite sur sa chaise, change de position, se lève même à un moment, restant toujours à côté de sa chaise, mais faisant dos à David. Ce dernier reste presque toujours face au public. La gestuelle sert donc à exemplifier la détresse de Sarah face à cette relation dont elle semble prise au piège. Leur conversation nous apprend par ailleurs que David a déjà battu Sarah à plusieurs reprises.

Cet antagonisme est aussi habilement reflété par le jeu des acteurs. Les expressions faciales de David sont en effet angoissantes : il fait des mouvements avec sa bouche qui donnent l’impression que sa mâchoire va se décrocher et il ouvre par moment de grands yeux écarquillés tel un fou furieux. Sarah produit le même effet avec ses expressions faciales, mais d’une façon plus atténuée. La tonalité de leurs voix varie également, allant du chuchotement au cri. Puis, quand David perd patience, il a des accès de violence : il frappe du poing sur la table et fait sursauter toute la salle. L’atmosphère de la pièce est si bien représentée à travers ces éléments que le simple jeu des comédiens suffirait à soutenir la thématique du texte. C’est sûrement également pour cette raison que la plupart des actions des personnages ne sont pas jouées par les comédiens, mais simplement indiquées sur l’écran à l’arrière de la scène : le spectateur est ainsi forcé de se focaliser sur l’ambiance lourde de la conversation entre David et Sarah.

Ces différents choix de mise en scène nous font ainsi nous concentrer spécifiquement sur le texte de Lars Norén, ce qui est audacieux, mais réussi. Cela permet d’insister sur le côté sombre des relations amoureuses en mettant particulièrement l’accent sur la désolation d’un des partenaires face à une personne malsaine. Bien que le spectacle soit cohérent et bien construit, il est toutefois dommage que sa description sur le site du théâtre du Pommier ne reflète pas la réalité du spectacle, puisqu’on nous parle d’« un poème d’amour » et d’« une ode à la vie ». Une probable déception pour les romantiques dans l’âme, mais une pépite pour les amateurs de spectacles sombres traitant de la complexité des relations humaines.

03 mai 2022


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