Une critique sur le spectacle :
Munich-Athènes / D’après Lars Norén / Mise en scène de Nastassja Tanner et Grégoire Strecker, Cie NT / Le Pommier, Neuchâtel / du 27 au 30 avril 2022 / Plus d’infos.
Les fondateur.ice.s de la jeune Cie NT, Nastassja Tanner et Grégoire Strecker, proposent au Théâtre Le Pommier Munich-Athènes, un huis clos de l’auteur suédois Lars Norén. La pièce place un couple, David et Sarah (Quentin Bouissou et Nastassja Tanner) au cœur des thèmes chers à Norén que sont notamment les troubles psychiatriques et psychosociaux. La scénographie exploite à la perfection la disposition et les qualités propres à la salle du Pommier et parvient, associée au travail de la mise en scène et des acteur.ice.s, à créer un spectacle qui joue avec les limites de l’horrifique et de la perception pour exposer un pan cauchemardesque de la nature humaine.
Sous la haute arche de pierre de la salle, dans une semi-obscurité rampante et les visages rendus terrifiants par l’angle d’éclairage, David et Sarah conversent. Ils ont le temps, le trajet pour Athènes via l’Europe de l’Est dans lequel ils se sont embarqués va durer deux jours. Enfin, s’ils restent dans le train jusqu’au bout. Rien n’est moins sûr, tant, à chaque arrêt, l’un.e ou l’autre menace de s’en aller. On apprend qu’ils sont en couple depuis 9 ans, enfin, peut-être 7 — il devient évident que certains aspects de leur relation n’ont jamais été clarifiés.
Le dialogue détonne à tout point de vue. Des sous-entendus constants créent très rapidement un contexte de sombres histoires d’abus et de violences conjugales, de dépendance et de souffrance, de non-dits et de fantasmes. À plusieurs reprises, l’un.e déclare l’autre malade, perturbé.e, dangereux.se — les termes de schizophrène et psychotique sont régulièrement assénés. Pourtant, le ton utilisé ne suit pas le conflit sous-jacent : la voix des deux membres du couple est généralement basse, voire chuchotée, et particulièrement traînante et contrôlée pour David (à quelques exceptions près). Ce ton dissonant et menaçant rend possible une transgression supplémentaire : les personnages alternent entre des pensées intimes et des adresses claires à l’autre, mais se répondent souvent en brisant la logique attendue au théâtre. Par exemple, Sarah peut entendre et répondre à un commentaire particulièrement violent de David qui n’était sans doute destiné qu’à lui-même, tandis qu’elle ne perçoit pas ou ignore une question directe. Les frontières entre pensée et parole, projection mentale et réalité ou encore raison et folie deviennent soudainement dangereusement poreuses.
Autour de ces deux voix et visages, il y a un silence pesant et une noirceur presque totale, à l’exception d’un tableau de surtitres. Le texte affiché est majoritairement composé de didascalies — car les deux personnages sont figés à leur place et n’effectuent pratiquement aucun autre mouvement que ceux, particulièrement marqués, de leur expression faciale. Cette dissociation entre action et parole accentue encore un sentiment d’étrangeté que vient achever le traitement de l’espace lui-même. La lumière, vacillante et nébuleuse, brouille les traits des visages des personnages et ne donne pas à voir le fond de la scène, que l’on peut alors facilement imaginer comme un tunnel sans fin, et où l’on discerne à peine, par moments, une forme humaine qui se meut, à la limite extrême de la perception visuelle.
L’incertitude généralisée qui sous-tend l’entier du spectacle se voit donc augmentée par le relent d’une peur primale, une peur irrationnelle du noir, du vide, mais aussi des recoins insondables de l’âme et des créatures qui y rôdent. Une réalisation magistrale qui laisse le public fasciné et presque tétanisé, pour qui seule la chaleur des applaudissements permet un retour complet à la vie.