Art. 1. Toute espèce a droit à la vie, à la mort, à l’amour, à l’humour

Par Clémentine Glardon

Une critique sur le spectacle :

G5 / texte et mise en scène Rocio Berenguer / La Grange de Dorigny / du 24 au 27 mars 2022 / Plus d’infos.

© Rocio Berenguer

Avec des interprètes surprenants, G5 est à la fois un spectacle original, drôle et touchant. Il relève nombre de paradoxes, notamment en ce qui concerne notre rapport à la nature. Cela permet une réelle interrogation sur notre considération des autres et une ouverture au dialogue.

Le G5 est une réunion des cinq membres présentés comme règnes : minéral, machine, humain, végétal et animal. Il fait directement référence aux sommets du G8 ou du G20, qui rassemblent des puissances économiques. Mais ici, il est question de légiférer sur les rapports entre chaque espèce en encourageant le dialogue.

La scène est pratiquement vide, à l’exception d’une tribune à jardin, d’un écran au-dessus de la scène et d’un caillou dans le lointain. On associe rapidement les deux premiers éléments à une conférence. En revanche, la pierre est un peu plus surprenante. En fait, il ne s’agit pas d’un élément de décor, mais d’un personnage. Cette pierre représente le règne minéral et interagit avec les représentants des autres règnes : le robot ‘regarde’ ou filme le caillou, l’humaine parle à ce dernier. Par ailleurs, cette dernière se querelle avec le représentant du monde animal, qui lui en veut pour ses mauvais traitements. Les cinq règnes se côtoient donc tout au long du spectacle.

La réunion se poursuit par la tentative de rédaction d’une déclaration des droits des êtres vivants, mais elle est interrompue par de petits chiens robotiques. Ils ont des yeux qui s’illuminent, font des jappements aigus et envahissent régulièrement l’espace. Il n’est pas question de classer et d’inclure ces peluches mécaniques. Elles ne font pas partie du G5 car considérées comme indésirables et transespèces (hybride entre l’animal et la machine), tout comme les bactéries, dont on nous explique qu’elles sont trop difficiles à catégoriser. Finalement, l’intervention d’un autre être transespèce (plante-humanoïde) remet une nouvelle fois en cause la classification établie.

Le spectacle veut dénoncer l’anthropocentrisme. Le G5 tente en effet de réunir les êtres vivants et de les mettre sur un pied d’égalité, mais il n’arrive pas à éviter cet écueil. En effet, en séparant le règne humain de celui de l’animal, il se place lui-même à part, au lieu de reconnaître qu’il s’agit d’un même règne biologique.

Autre paradoxe que souligne le spectacle, celui de la représentativité de ces congrès : « l’individualité est obsolète » dit l’interprète humaine, en prenant l’exemple de la poule. La poule n’est pas représentative des poules. Il faudrait tenir compte de toutes les poules passées, présentes et futures pour avoir une idée de ce qu’est l’expérience d’être une poule. Pourtant, les êtres humains simplifient ainsi une espèce, en ne considérant qu’un archétype de gallinacé. Le G5 est l’illustration de cette problématique : un représentant n’est qu’une généralisation de tous les individus à un seul. Le titre du spectacle finit ainsi par être remis en question, puisqu’on prend conscience de l’inutilité des classements face à la pluralité de la nature. Le G5 n’a donc aucun sens et on ne peut s’empêcher de penser à une critique sous-jacente de nos modèles politiques.

La pièce démontre aussi avec humour une forme de non-sens à légiférer, notamment lorsque l’assemblée souhaite faire voter des articles de lois édictant le droit de dévorer et d’être dévoré, avec l’accord des deux parties.

Cependant, malgré ces dichotomies, la réunion est un essai, une tentative, une proposition de dialogue. Rocio Berenguer donne à réfléchir à d’autres moyens de nous comprendre nous-mêmes et ce qui nous entoure, en mettant en scène des expériences de pensée. Tous les personnages portent une part de poésie et d’agentivité dans le spectacle, dans un réel souci de leur donner l’importance qu’ils méritent. Tout est en mouvement, même le caillou, qui semble être le seul élément stable et tellement discret qu’on finit par l’oublier, continue de vivre et se met à bouger.

Rocio Berenguer nous fait ainsi comprendre qu’il est beaucoup plus intéressant de partir du principe que l’autre est vivant. Au premier abord, il est certes surprenant de voir l’interprète humaine saluer un caillou. Mais lorsqu’elle le considère comme un être vivant à part entière, la relation qui en découle se révèle plus profonde et réflexive que si elle le traitait comme une matière inerte. Un lien se crée et, même sans réponse de la pierre, une sorte de dialogue intérieur commence pour l’humaine. On constate alors que l’image qu’elle renvoie rend compte d’une grande compassion et d’une meilleure compréhension. La réflexion nous mène à reconsidérer notre rapport à l’altérité, avec davantage de bienveillance et d’humilité, et qui finit par nous faire du bien à nous-mêmes.