Silence, ça pousse !

Par Antoine Klotz

Une critique sur le spectacle :

Arborescence programmée/ Mise en scène Muriel Imbach / Théâtre de Vidy Hors-les-murs / La Grange-UNIL (Vortex) / du 16 au 20 mars 2022 / Plus d’infos.

© Philippe Weissbrodt

Quel est notre lien avec notre environnement ? Ce spectacle pensé pour les classes lausannoises décrypte la considération de l’être humain pour la nature et l’exploitation qu’il en fait. Un casque sur la tête permet aux spectateurs d’entendre les interrogations d’une fougère sur notre société et notre place sur cette planète. Un spectacle qui joue la carte du « connecté » tout en imposant au public un certain repli sur lui-même.

Est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment une fougère perçoit le monde ? Moi, non, et je ne sais toujours pas vraiment après avoir vu Arborescence programmée de Muriel Imbach au Vortex (UNIL). En revanche, j’ai quelques pistes concernant l’être humain et sa façon de traiter les autres êtres vivants. A notre entrée dans la salle, l’équipe technique nous remet un casque que nous devons porter pendant l’intégralité du spectacle. C’est grâce à lui que les spectateurs sont connectés au Réseau d’Enseignement Mega Intelligent (REMI), sorte d’intelligence artificielle qui met en contact les personnes entre elles dans le cadre d’une expérience novatrice dont nous sommes le groupe de contrôle. Le but premier de celle-ci reste flou car elle est vite perturbée par le retard de l’assistant Fred (Fred Ozier) puis par la soudaine découverte de la conscience d’une fougère, sujette de l’expérience. S’ensuit une discussion qui met l’être humain face à ses contradictions et ses propres rapports de domination. Pourquoi notre hégémonie sur la nature va-t-elle de soi ? C’est ce type d’idées reçues que le spectacle essaie de déconstruire afin de distiller une pensée plus respectueuse de l’environnement aux enfants.         
Il faut revenir à la genèse du spectacle : Arborescence programmée est avant tout un spectacle conçu pour le jeune public, spécifiquement celui des classes lausannoises. Muriel Imbach travaille pour les enfants depuis plusieurs créations déjà et elle les intègre même dans son processus de travail. Leurs questionnements l’intéressent car souvent bien plus ancrés dans le réel que ceux des adultes. C’est pourquoi elle s’adresse à eux pour leur dire que la domination de l’homo sapiens – le spectacle martèle ce mot comme pour nous rappeler notre appartenance au monde animal – sur la nature n’est pas forcément le juste ordre des choses et qu’ils doivent être prêts à le remettre en question. Porter ce message dans les classes amène son lot de contraintes, notamment une distribution de poche avec un seul acteur sur scène qui déploie un jeu cartoonesque qui plaît aux enfants dans la salle mais dont l’humour convainc moins les adultes. Les casques en sont une autre : autant, ils sont tout à fait efficaces dans le contexte d’une classe afin de mettre en place un espace propice à l’imagination pour les enfants, autant ils enferment le spectateur sur lui-même. Ils le coupent du reste de la salle et le plongent dans la conscience de la fougère dans une bulle sonore. Alors que nous sommes censés entrer en connexion avec les autres, je me sens finalement très seul face aux questionnements du végétal.
Je pense que c’est là que se situe la limite du dispositif auditif du spectacle : il fonctionne très bien au début en tant que ressort comique avec un questionnaire donné par REMI qui rappelle les capsules de François Pérusse à la radio et en tant que dispositif d’immersion, mais il entrave la communion entre les spectateurs, ce qui me fait hésiter à rire. Je me contente donc d’un sourire amusé. De plus, il devient de plus en plus encombrant face à la conversation entre Fred et la fougère. Après tout, comment une IA pourrait-elle comprendre les relations humaines avec la nature ? D’abord relégué au rang de running gag, REMI est ainsi finalement prié de se taire et de « se mettre à jour » ce qui nous fait questionner la pertinence de son existence. Cela était sûrement tout à fait utile dans une classe afin de créer un lien entre les esprits juvéniles et le monde végétal, mais pour un spectateur plus adulte, ce lien artificiel n’était peut-être pas nécessaire. Il le coupe du reste de la salle et ne crée pas cette symbiose collective que l’on pourrait attendre d’une analogie avec la forêt qui nous est pourtant si bien décrite en introduction. Le passage de la salle de classe à la salle de spectacle mériterait quelques modifications afin de rendre l’expérience plus prenante pour le grand public. Le message, lui, est parfaitement reçu et l’on espère qu’Arborescence programmée sera le terreau fertile pour un monde plus doux.