Le prix de la tromperie

Par Claire Cornaz

La Fausse Suivante / De Marivaux / Mise en scène de Jean Lermier / Théâtre de Carouge / du 22 février au 06 mars / Plus d’infos.

© Lauren Pasche

Presque une décennie après sa mise en scène du Jeu de l’Amour et du Hasard, le directeur du Théâtre de Carouge et metteur en scène Jean Liermier renoue avec les textes de Marivaux grâce à La Fausse Suivante, et conçoit ainsi un spectacle particulièrement représentatif de toute la sournoiserie qui se dégage de ces personnages. Il n’est dès lors plus question d’analyse de l’amour et de l’amitié car seule demeure une fourberie cinglante qui ne sert alors plus qu’à maximiser un profit. Et une question subsiste alors : qui gagne réellement dans toute cette histoire ?

Lorsque l’on s’assied à sa place, la scène laisse entrevoir une forêt de bouleaux dans le fond. Toutefois, elle s’avère voilée par de grands murs blancs, qui forment une pièce centrale qui, petit-à-petit, évoluera au fil de la présentation. On passe alors d’un garage dans lequel un vélomoteur est posé sur une immense bâche, à un salon de maison de campagne recouvert d’un parquet et décoré d’un fauteuil, pour enfin révéler une forêt enneigée qui compose l’extérieur de ces murs. Et c’est là que se joue la subtilité de cette mise en scène. Alors que l’histoire elle-même se concentre sur la cupidité et les manigances du Seigneur Lélio, le travestissement de la “Dame de Paris” en Chevalier afin de piéger ledit seigneur, ou encore les manigances de Trivelin avec Arlequin, les éléments fondateurs du décor sont retirés et révèlent ainsi le reste de la scène au fur et à mesure que la vérité derrière ces multiples intrigues se dévoile. Cela commence au bout des premières scènes, avec une bâche que l’on soulève pour découvrir un parquet en bois, puis les murs qui s’ouvrent pour laisser place à cette forêt de bouleaux qui titillait ma curiosité depuis mon arrivée, et enfin, lorsque la vérité éclate, ce sont les portes et les murs formant les côtés de la scène qui sont retirés pour laisser place au dénouement final. Ainsi, c’est au rythme des transformations du décor que la pièce avance et que les mensonges laissent petit-à-petit place à la vérité.

Malgré les mensonges et les conflits, c’est aussi grâce à une interprétation palpitante des comédiens et comédiennes qu’on ne peut s’empêcher de rire des échanges frénétiques entre les personnages. Toutefois, certaines scènes mettent en avant le chagrin et la peine qu’ils ressentent lors de ces discussions houleuses et ces nombreuses trahisons. La mise en scène apparaît alors comme un soutien aux émotions exprimées par les comédiens et comédiennes, principalement au travers de la musique et de la lumière. On rit effectivement parfois, pour mieux soupirer en constatant la solitude et le désarroi de certains personnages, comme la Comtesse, mis en avant par des airs de musique touchante et une lumière assombrie. Au bout du compte, toutes ces tromperies et ces jeux d’intrigues sont explorés dans la mise en scène de façon comique, sans non plus cacher la réelle douleur et l’impact qu’ils ont sur les dupeurs et les dupés (qui peuvent à un moment être l’un, pour ensuite devenir l’autre à tout instant). Qui gagne réellement ce jeu ? En réalité personne, selon Jean Liermier. À la fin de cette mise en scène de la Fausse Suivante, lorsque l’on constate le malaise de chacun des personnages et cette réelle tristesse qui se cache derrière le rire, c’est un cœur radieux mais chaviré qui subsiste en rentrant chez soi.