Par Hugo Merzeau
Une critique sur le texte de la pièce :
Comment bruissent les forêts ? / Écriture et dramaturgie Adrien Rupp / Metteur en scène et Comédien Vincent Fontannaz
Lorsque Vincent Fontannaz demande à Adrien Rupp de l’accompagner dans le processus de création de Comment bruissent les forêts, la répartition des rôles n’est pas encore décidée. Adrien commence par jouer, alors même que ce spectacle a en grande partie pour matière l’intimité de Vincent. Après deux semaines de pré-répétitions, en 2019, ils échangent : Vincent sera comédien et metteur en scène, Adrien sera à l’écriture et à la dramaturgie. Suivent d’innombrables allers-retours entre l’écriture automatique de Vincent, ses improvisations sur le plateau et l’écriture rhizomique et organique d’Adrien. Fruit d’une grande complicité et d’une relation de confiance, le spectacle est joué pour la première fois en avril 2021 à la maison de quartier de Chailly et sera repris à Neuchâtel en avril 2022. Le titre de ce projet évoque le livre d’Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts ? (2013) qui interroge la possibilité de produire une anthropologie du non-humain, question que la pièce transforme en celle de savoir comment mettre en scène le non-humain. La question prolonge la pratique militante plus ancienne de Vincent Fontannaz. Il était, néanmoins, très important pour lui de détacher ce texte de ses pratiques d’actions concrètes. Il fallait ici, pour lui, opérer un recul plus théorique. Une deuxième influence se trouve dans l’écoféminisme et plus précisément dans Dancing at the Edge of the World (1989)d’Ursula K. Le Guin. Ce texte oppose la narration « en flèche » (une histoire qui avance d’un point A à un point B) à la narration en tissage, en « panier » (centrée sur le processus plus que sur la résolution). En adoptant ce dernier type d’écriture, la pièce se dissémine en de multiples fils, en apparence anodins, à partir de l’intimité de Vincent et le grand chamboulement de sa vie : être devenu père.
Le texte est formé de trois moments qui multiplient les échos à ces thématiques et qui résonnent les uns dans les autres. Ces moments prennent place au sein d’une narration à la première personne à la façon d’un monologue interne. Le premier s’apparente à une exposition. En effet, si la pièce ne compte qu’un seul véritable personnage sur scène, il prend le temps de déployer son intimité – celle de Vincent -, de le charger de toutes les anecdotes nécessaires au tissage fictionnel. Ce texte, qui flirte avec le témoignage dans cette première partie, a besoin de ce matériau intime pour développer son deuxième moment : le doute. Il interroge alors, et déconstruit, de nombreux éléments présents dans nos cultures, de la figure héroïque de l’homme et de son meilleur ami le couteau, jusqu’à la relation de l’humain avec le non-humain et plus sobrement des humains entre eux. L’une des pistes de travail qui s’impose à Vincent et Adrien réside dans l’écoute que ce spectacle thématise de multiple façon : celle de Michela, la femme du personnage, dont les paroles rapportées ont valeurs d’oracle, mais aussi celle du carillon qui double la voix de Basile, son fils. La place du sonore dans ce spectacle se révèle jusque dans le titre. Écouter le vivant, donc. Après une phase proche de la transe qui conclut ce moment de doute, le spectacle fait exploser l’ego lié à cette parole intime, la figure héroïque de ce comédien seul sur scène aboutit à une scène vide sur laquelle ne résonne plus qu’une voix non attribuée. Un poème résonne alors sur scène. Adrien Rupp l’a écrit il y a quelques années de cela, lors d’une promenade – performance en forêt sous la pluie. La poétisation de cette expérience met fin à cette exploration sensorielle et narrative des questionnements de Vincent, survenus après la naissance de son premier enfant.
On est loin, pourtant, d’un cours érudit ou d’un manifeste éco-révolutionnaire. L’un des plus grands problèmes qui s’est posé aux deux auteurs est précisément celle de la légitimité. Le biais de leur perspective d’homme blanc vivant dans un environnement aisé étant un obstacle aussi évident que difficile à contourner, ils ont décidé d’assumer pleinement un ancrage « égocentrique » à travers les récits de l’intimité de Vincent et ont usé de l’humour, de l’auto-dérision pour désamorcer le sérieux des thématiques, décentrer cet égo et casser l’héroïsme de cette prise de parole. Dans ce texte tissé à partir d’une relation et d’un processus créatif qui auront duré près de deux ans, doute et auto-dérision dialoguent avec drame et intimité.