EXPÉRIMENTER LA FOLIE

Par Stella Wohlers

Une critique sur le spectacle :

Room / Création et mise en scène de James Thierrée / Théâtre de Carouge / du 12 janvier au 6 février / Plus d’infos.

© David Wagnières

Flambant neuf, le Théâtre de Carouge accueille enfin Room, le spectacle créé et interprété par James Thierrée dont la représentation avait été annulée en décembre 2020. Mêlant musique et chansons originales, théâtre, danse contemporaine, mimes et arts visuels, le spectacle forme une composition pleine de vie et fascinante qui explore les possibles de la création artistique.

Cette pièce intrigante captive l’attention et la curiosité du public dès que les premiers comédiens crient des mots incompréhensibles en s’introduisant sur scène alors que les lumières ne sont pas encore éteintes. Le silence tombe dans la salle, le noir se fait, les interrogations commencent. Qui sont ces personnages ? Une troupe de comédiens et musiciens ? Un bureau d’architecte ? La réponse importe peu, on le comprend vite : l’intérêt tient ici à l’atmosphère hypnotisante qui se révèle dans la composition singulière de cette proposition.  

Danses, chansons, paroles décousues et réarrangement perpétuel du décor rythment ce spectacle insolite qui semble se créer à la fantaisie des artistes. Tout y est folie. Les corps paraissent se mouvoir par eux-mêmes et échapper au contrôle des danseuses. Les dialogues ne font pas sens et les personnages ont du mal à s’exprimer et à se comprendre. Certains crient, d’autres chantent. Lorsque les projecteurs s’éteignent, ils n’ont qu’une petite lumière autour du cou, créant un clair-obscur digne des plus belles peintures flamandes. Les hautes cloisons de murs cherchent sans arrêt à se déplacer, le sol glisse, les portes s’ouvrent et se ferment. L’agencement du décor échappe à tout contrôle, si bien que cette room vivante devient le personnage principal qui mène tout le spectacle : ce ne sont pas les personnages qui réarrangent la chambre, mais elle qui les soumet à sa folie délirante. Tout tourne peut-être autour de cette question à laquelle ces derniers reviennent : pourquoi ? La figure principale interprétée par James Thierrée en formule difficilement une réponse : it’s something that happens, something that changes. Comment mieux résumer ce spectacle ? Cette performance est un assemblage d’idées folles qui réunit tous les arts de la scène dans des séquences de tableaux hétéroclites. Cette création est sensationnelle. Le public doit regarder partout à la fois car tout le monde s’agite sur la scène dans une chorégraphie époustouflante. Qui a dit que folie et harmonie n’étaient pas compatibles ? Les larges robes dansent, les instruments chantent et les murs bougent. Les torsions des corps miment la déconstruction des mouvements qui dégagent une expressivité émotionnelle et reflètent l’évolution de l’espace. Cette scénographie en mouvement perpétuel nous démontre qu’il faut défaire, renverser et dénouer pour se libérer. Le décor est mis à nu, les personnages aussi. James Thierrée passe du costard à un ensemble couleur chair, semblable à celui des danseuses en début de spectacle. L’énergie qui s’en dégage se communique au public et l’intègre dans cette ivresse créative : il vient tout juste d’expérimenter la folie.