Par Noémie Jeannet
Une critique sur le spectacle :
Nous traversons une légère perturbation / Mise en scène par Loredana von Allmen / Théâtre du Pommier – Neuchâtel / du 22 au 24 octobre 2021 / Plus d’infos.
Prendre l’avion n’a jamais été aussi drôle et déroutant que dans cette comédie immersive présentée par le Théâtre du Pommier à Neuchâtel. Loredana Von Allmen et sa troupe La Cie Nuit Corail réussissent brillamment à nous faire vivre une expérience à priori ennuyeuse, celle de prendre l’avion, de manière légère et poétique. Grâce à un équipage bien rôdé, on se laisse docilement guider par leurs indications qui résonnent comme un refrain que nous connaissons déjà. La tournure que prend le vol à bord duquel nous sommes confortablement assis, est quant à elle une surprise pour tout le monde. C’est en effet à ce moment-là que la pièce prend réellement son « envol ».
Le spectacle ne se passe pas entre les murs du Théâtre du Pommier mais au Collège de la Promenade dont la configuration se prête davantage à la simulation d’un embarquement. Tout commence au moment de présenter nos billets. En effet, des hôtesses de l’air nous accueillent et nous donnent, en échange de notre billet d’entrée, un billet pour Nuuk, capitale du Groenland. On traverse ensuite la cours du Collège de la Promenade pour arriver dans une salle de gym reconvertie en douane. Ici, nous procédons à la traditionnelle file d’attente en zig-zag à l’issue de laquelle on trouve la fameuse porte de détecteur de métaux ainsi que la machine pour scanner nos sacs. Les comédiens interprètent le travail des employés de la sécurité avec un sérieux à peine exagéré ce qui rend la situation plutôt amusante. Puis, une des hôtesses de l’air essaye de nous diriger militairement vers l’avion qui nous emmènera à Nuuk.
Une fois les spectateurs-passagers installés dans l’avion s’ensuit le cortège typique des consignes de sécurité, des chariots de nourriture et des films pour passer le temps. Tous ces moments anodins sur un vol sont tournés en dérision par l’équipage. En effet, tour à tour, ceux-ci poussent la chansonnette pour accompagner le service des repas ou entament une chorégraphie entre la rangée de sièges, le tout étant accompagné du fameux discours monotone et parfois incompréhensible du pilote que l’on retrouve dans un vol traditionnel. L’ambiance est chaleureuse, presque douillette. Il y a de la moquette au plafond, des pots de fleurs accrochés aux parois, des lumières douces. On s’y sent bien mais on déchante vite quand on comprend que l’avion traverse une tempête.
Un vent de panique se fait alors ressentir : le pilote annonce que nous traversons une légère perturbation et l’équipage semble perdre le contrôle en faisant des allers-retours dans le couloir et en se suspendant au plafond. Le pilote sort alors de sa cabine, entonne une chanson avec sa guitare et finit par se jeter par la porte centrale de l’avion, en plein vol. Une impression d’abandon se fait ressentir. Grand moment de silence. Que fait-on dans de telles circonstances ? Une des hôtesses confesse qu’elle regrette d’avoir grondé son fils le matin même. Le steward admet qu’il est inquiet pour sa mère qui vit seule. Puis, arrive la fin de la représentation, il est temps de sortir de notre avion de fortune. Le toboggan d’évacuation nous fait descendre tout en douceur sur la terre ferme.
Au fil du spectacle, on se rend compte qu’on se sent très proche de son voisin ou de sa voisine. On croise des regards amusés, interrogateurs ou encore inquiets quand l’intensité de la lumière baisse, ce qui crée du lien entre les spectateurs. Et grâce aux comportements absurdes des personnages, on comprend vite les deux alternatives qui s’offrent à nous dans des situations catastrophiques : paniquer et ne considérer que le négatif ou en rire.
La metteuse en scène opte pour la deuxième solution en début de spectacle. En effet, de l’enregistrement, au passage de la sécurité puis à l’embarquement et au début du vol, nous sommes baladés joyeusement par l’équipage. Le sourire encore aux lèvres, le revirement de situation dû aux turbulences conserve encore un côté comique car la panique exagérée de l’équipage, n’est pas encore totalement prise au sérieux par les spectateurs. En effet, leurs attitudes décalées, accompagnées de brefs moments de comédie musicale, amènent de l’humour et de la légèreté à ce moment d’angoisse. C’est seulement dans les dernières minutes que l’aspect tragique de la situation se fait ressentir dans les rangées de sièges avec les confessions des membres de l’équipage notamment, mais aussi par la danse funèbre que les membres de l’équipage, munis d’un masque représentant un crâne de squelette, entreprennent. Une illumination vive et soudaine ainsi que l’arrêt des chants des personnages et du bruitage de l’avion rendent la situation d’autant plus angoissante. Mais malgré ce changement brusque de registre, l’atmosphère enjouée de la pièce nous reste en tête une fois la terre ferme regagnée. Le spectacle se termine sur un chant entonné en cœur par l’équipage au complet qui finit par nous tourner le dos avant de s’en aller, nous laissant dans cette rêverie que nous avons vécue à leurs côtés.
Grâce à l’alliance d’un dispositif imitant à merveille un aéroport, puis un avion, et un jeu d’acteur convaincant, la mise en scène de Loredana Von Allmen est ainsi capable de transformer une situation pénible et « mécanique » (prendre l’avion) puis une situation angoissante (un crash) en une expérience poétique et musicale.