Par Noémie Jeannet
Une critique sur le spectacle :
Parfois je parle toute seule/ Texte Antoine Jaccoud / Mise en scène Matthias Urban / CPO Ouchy / du 16 au 21 novembre 2021 /Plus d’infos.
Que se passe-t-il lorsqu’une personne quitte ce monde ? Malgré la tristesse des proches, ceux-ci doivent s’occuper, en premier lieu, du côté administratif qu’engendre un décès. Le nouveau spectacle d’Antoine Jaccoud et Matthias Urban raconte ce passage émotionnellement difficile mais pourtant obligatoire. À travers le récit de Jeannette, on comprend qu’il est parfois plus simple de raconter notre lien avec le défunt à travers des confidences plutôt que d’affronter la vérité froide des procédures bureaucratiques.
Anne-Catherine Savoy interprète le rôle de Jeannette, une veuve ayant très récemment perdu son mari. Cette dernière se positionne face à nous, public, pour raconter son histoire. Elle s’adresse à M. Clément qui est chargé d’organiser les obsèques de son mari et dont le travail englobe notamment le choix du cercueil, de la pierre tombale ou encore de la musique pour la cérémonie funéraire. Puisqu’il n’est pas présent sur scène, la comédienne est seule face à nous, et on prête donc une attention particulière à ce qu’elle confie à ce personnage invisible.
A l’aide des différentes questions de M. Clément, que l’on devine grâce aux réponses de Jeannette, celle-ci nous raconte la vie de son mari mais surtout nous définit la relation que ceux-ci entretenaient en tant que couple. Elle en vient à parler de leur fils Gaëtan par exemple, un « marginal », selon ses mots, qui entretenait une relation plutôt froide et distante avec le défunt. On découvre encore à travers le récit de Jeannette que son mari était plutôt fainéant, mangeait beaucoup, n’avait plus de cheveux et ne voulait jamais rien faire avec elle. Ces petites bribes de leur histoire nous sont racontées de façon presque naturelle, à l’instar du « small talk » que nous pratiquons tous parfois, en particulier lorsque l’on se retrouve dans une situation où le malaise peut se faire sentir. Cette « causette » sert ainsi à dédramatiser et alléger la situation.
A travers le texte d’Antoine Jaccoud, les mots sont choisis de façon à ce que les spectateurs se sentent dans la position du confident. Jeannette répond à M. Clément avec une sincérité déconcertante et parfois même naïve, s’agissant de la première fois qu’elle vit une telle épreuve. Elle se rappelle volontiers les belles années passées aux côtés de son mari, quand il ressemblait encore à Alain Souchon et qu’il jouait au foot. Et soudain, elle se met à déballer ses frustrations et colères envers ce mari qui mangeait selon elle beaucoup trop. Quand le malaise s’installe face à M. Clément, elle fait appel à ce ton de confession léger et drôle pour détendre l’atmosphère, ce qui rend plus propice le partage de confidences très intimes.
La mise en scène de Matthias Urban offre également une atmosphère qui permet au spectateur de se sentir proche de ce personnage en détresse. Deux chaises sont installées sur le devant de la scène, face au public. Derrière la comédienne se trouvent des panneaux opaques où le personnage ira tantôt boire un café, tantôt essayer ses vêtements de cérémonie pour savoir ce qu’en pense M. Clément. Ces déplacements permettent ainsi d’éviter une mise en scène trop statique. Dans la deuxième moitié du spectacle, Jeannette descend notamment de la scène pour demander au public – ou à M. Clément ? – si on ne veut pas la prendre dans les bras. Ces variations permettent d’agrémenter ce long monologue et le rendent également naturel. On finit par avoir l’impression d’assister aux confessions intimes du personnage, oubliant la raison première de sa présence dans ce bureau des pompes funèbres.
Le spectacle nous conduit donc de façon anodine et touchante à travers cette situation en lui conférant un sentiment d’universel. Quelques aspects de l’histoire restent néanmoins un peu maladroits, comme le défilé de Jeannette en robe rouge devant M. Clément, lorsqu’elle essaye ses différentes tenues pour la cérémonie, ou encore lorsqu’elle décide de sortir le pistolet de son mari de son sac et de tirer dans le vide pour voir s’il est encore chargé. Certes, dans ce genre de moments, on peut perdre un peu nos moyens et agir de façon inappropriée. Or, les souvenirs intimes que Jeannette confie à M. Clément suffisent amplement à montrer son désarroi et sa naïveté face à ce drame.
La pièce reste néanmoins légère et drôle, bien que tragique et triste. La vulnérabilité des êtres humains face à la mort est évoquée avec brio, avec une pointe d’humour nécessaire pour rendre la situation réaliste. Notre position de confident face à Jeannette, remplaçant un M. Clément invisible sur scène, nous rend également plus empathique face à un personnage désemparé. La beauté de l’universalité face à la mort est donc représentée avec naturel et sincérité.