Théâtre téléphonique : allez-vous accrocher ?

Par Johanna Codourey

Une critique sur le spectacle :
Vous avez un appel / Textes d’Antoine Jaccoud / Réalisation par Matthias Urban / Enregistrement & mixage par Etienne Curchod – Alea Jacta / Musique par Joséphine Maillefer /Théâtre téléphonique / Appel possible du 16 mars au 30 juin 2021 / Plus d’infos

© CGT

Où est la limite du théâtre ? À toute heure et en tout lieu, vous pouvez désormais accéder à une création d’Antoine Jaccoud et Matthias Urban, à portée de main. Vous avez un appel met à l’oreille un théâtre du quotidien avec de courtes séquences de monologues téléphoniques qui peuvent rassurer en période de solitude et qui révèlent surtout l’importance du contexte dans lequel on assiste à une pièce de  théâtre.

Lorsqu’on ne pouvait plus s’asseoir ensemble dans les salles de théâtre, on s’asseyait peut-être sur son canapé pour regarder une captation, parfois rediffusée en direct. C’est peut-être pour ces spectateurs solitaires que Matthias Urban et Antoine Jaccoud ont décidé de monter le projet Vous avez un appel. Prenez votre téléphone, composez le 021 552 33 54 et une douce voix de transfert sur un fond de musique de standard  vous proposera « de vous installer confortablement » et de sélectionner sur votre clavier un numéro entre 10 et 29.

Ici, pas d’image, juste le son. Comme une pièce radiophonique, si ce n’est que l’appel que vous choisissez de décrocher s’adresse à vous : vous avez laissé votre chat à votre frère pour seulement quelque temps, mais vous prolongez sans cesse votre séjour au Burkina et il s’en plaint ; vous êtes la personne qu’un homme tristement esseulé tente de convaincre de « faire quelque chose ensemble » ; vous vous plaignez de l’EMS et recevez la triste nouvelle que votre famille ne viendra pas vous voir dimanche. Dix-neuf propositions sont à portée de combiné pour découvrir des bribes de quotidien qui ne nécessitent aucune intervention de l’auditeur, des dialogues dont seul un des interlocuteurs se fait entendre, mais dont les réponses données depuis « notre combiné » semblent aller de soi. Les textes présentent efficacement les informations minimales à la compréhension du contexte biographique et des réactions de celui que nous sommes devenu – « mais non, pleurs pas Jonathan, t’as dix-sept ans, tu fais tes expériences ! »  – ce qui produit un effet très naturel. Les comédien.ne.s savent, à travers ce combiné, refléter les émotions produites par les nuances de ces dialogues tronqués, entre humour et sérieux, en variant les tons, passant de la colère à l’anxiété ou au soutien compatissant.

Avec les restrictions d’activités en tout genre, ce théâtre téléphonique a partiellement permis, au printemps 2021, de remédier au manque de discussions quotidiennes légères. Ce concept « à l’emporter » est surtout un projet original qui reflétait une tentative de faire vivre le théâtre, et l’individu, en temps de confinement. Il appartient toutefois au spectateur de définir le cadre de son appropriation, hors des quatre murs d’un théâtre ou des limites d’un espace dédié au spectacle. Cela rend l’expérience parfois difficile à réaliser. Proposer une création hors des murs du théâtre relève d’une démarche tout à fait dans l’air du temps, mais la contrainte des restrictions sanitaires a engagé ici un spectacle à recevoir en solitaire, sans la coprésence habituelle du public. Assise sur ma chaise, j’apprécie d’avoir à l’oreille cette petite voix qui me parle, mais, alors qu’elle surgit dans des sphères intimes comme ma chambre et mon téléphone, l’identification est compliquée. J’entends cette voix et pourtant, il me manque la concentration habituellement offerte aux comédiens comme aux interlocuteurs téléphoniques, qui fait perdre la conscience de son environnement. Intriguée par ce théâtre de la solitude, je réalise qu’il me manque le public pour que la sensation d’assister à du « théâtre » prenne forme.  Pour assister à des créations en solitaire, je me tourne plus naturellement vers la radio ou le cinéma. La recherche est originale et mérite d’être saluée, mais en raccrochant, difficile de m’empêcher de penser que toutes les technologies ne sauront remplacer les présences humaines qui constituent aussi, pour moi, la séance théâtrale.