Par Johanna Codourey
Une critique sur le spectacle :
Une Rose et un balai / Texte de Michel Simonet / Mise en scène par Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier / Théâtre des Osses / du 27 mai au 6 juin 2021 / Plus d’infos
Au Théâtre des Osses, à Fribourg, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier proposent de s’arrêter une bonne heure sur l’expérience de l’un de ces nettoyeurs de l’ombre, en tirant la matière de leur spectacle du récit publié en 2019 par le cantonnier Michel Simonet. Une mise en scène originale fondée sur le principe de la récupération généralisée, pour aborder la philosophie du métier et l’écologie.
Sur scène se trouvent un chariot de cantonnier, trois panneaux et des déchets – surtout des cannettes. Rien de très original et pourtant ! Les deux artistes qui les manipulent, Alexandre Cellier et Yves Jenny, en uniforme de cantonniers, sauront les détourner habilement, les recycler afin de leur donner une multitude de fonctions : l’accordéon est aussi une machine à écrire ou sert à figurer une bibliothèque pleine de livres. Le plus fascinant reste l’incongruité des instruments de musique : Alexandre Cellier, qui réalise sur scène tous les bruitages et la « bande-son » de la pièce, joue de la cornemuse avec un tuyau d’arrosage et un gant, de la guitare avec un balai, du saxophone avec un arrosoir et bien d’autres instruments inattendus.
Ce réinvestissement des objets nous invite à voir autrement ces déchets et se fait l’écho du texte de Michel Simonet, dont le spectacle reprend le titre. Pendant une heure dix, Yves Jenny raconte cette expérience au public, en lui adressant son regard ou en lui tendant une bière qu’il vient de décrire comme l’objet le plus puant qu’il ait jamais senti. L’objet ne sent rien, mais les mots sont si bien choisis que l’on n’oserait se saisir de la canette.
Lorsque le comédien joue le narrateur, le corps tient un rôle secondaire, il sert à illustrer le contenu du discours de manière stéréotypée, dans des interprétations qu’on peut parfois juger malheureuses : lorsque « la rue devient féminine », le cantonnier se cache ainsi derrière un panneau pour observer d’un regard un peu intéressé les femmes qu’on imagine passer. Lorsqu’il s’agit cependant d’interagir avec son partenaire, de chanter ou de laisser planer un silence, le jeu devient plus naturel, cassant le rythme parfois un peu répétitif de la narration.
L’accent est mis sur le texte de Simonet, présenté ici avec quelques coupes et quelques réorganisations. Entre les extraits, les transitions de quelques secondes créent de légères ruptures produisant un effet de discontinuité. Les passages en eux-mêmes sont judicieusement choisis. Ils donnent accès à la pensée et au regard de ce « balayeur et fier de Lettres » qui nettoie les rues de Fribourg – dont le sol du plateau est la représentation – par choix et conviction. Cet homme décrit son entrée dans le milieu et le métier, avec ses rencontres, ses maux et ses trouvailles matérielles insolites en ajoutant, ça et là, quelques détails plus personnels qui vont à l’encontre des stéréotypes : il récupère les consignes des bouteilles pour s’acheter des éditions de la Pléiade. Il le dit lui-même : il renverse un peu les clichés sociaux. Et tout cela dans un langage fleuri de double sens et de formules poétiques, de la « déchetance » (entre déchet et déchéance) à la « maladresse éthylique » de l’homme ivre.
En donnant à ce texte une nouvelle vie sur la scène, les metteur.e.s en scène – et l’écrivain – nous invitent à repenser notre vision de cette profession et sensibilisent à la question du recyclage et de l’écologie. La rose qui fait le bonheur du cantonnier sur son chariot est aussi le symbole d’une simplicité qui contraste avec nos poubelles pleines, « reflet de notre société d’abondance » : ramasser ses déchets apparaît bien finalement comme une preuve de « formation » et non de « déformation professionnelle ».