Danse Derviche

Par Johanna Codourey

Une critique sur le spectacle :
Danse « Delhi » / Texte d’Ivan Viripaev / Mise en scène par Cédric Dorier (Les Célébrants) / Initialement programmé à La Grange de Dorigny en avril 2021 / Captation vidéo du 28 octobre 2020 au Théâtre Oriental-Vevey / Plus d’infos

© Alan Humerose

Dans une salle d’attente d’hôpital, Danse Delhi propose d’envisager sept fois la mort dans des configurations dramaturgiques différentes. Sept pièces dans la pièce – un genre d’exercice de style – où meurent tour à tour les protagonistes, mais où les répliques, les relations entre les personnages et le pouvoir apaisant que provoque la narration de la fameuse danse Delhi se font écho et produisent un effet de spirale. Les deux heures du spectacle permettent de prendre conscience du rôle que joue le contexte dans la manière dont chacun reçoit et accepte les nouvelles malheureuses.

« C’est tellement bizarre de ressentir ça. On ne sait même pas comment réagir. » Et pourtant, cette deuxième réplique de la première pièce sera successivement jouée de manière joyeuse, colérique ou effondrée par Anne-Catherine Savoy, dans le rôle de Catherine, qui au fil des sept pièces perd deux fois sa mère, apprend une fois que cette dernière est atteinte d’un cancer, soutient son amant lorsque sa femme fait une tentative de suicide ou est elle-même annoncée comme morte. Avec Andreï (Denis Lavalou), Léra (Carmen Ferlan), Alina (Helene Theunissen) et Olga (Florence Quartenoud), elle est l’un des personnages qui font face à l’infirmière (Prune Beuchat) leur demandant de signer des papiers liés à la mort d’un proche. Les comédiens proposent à chaque fois un répertoire d’émotions différentes. Entre chaque proposition, un noir se fait, les acteurs s’avancent et le public applaudit jusqu’à ce qu’un signal sonore rappelle les artistes en coulisse pour commencer la pièce suivante.

En plus des variations de jeu et dans la fable, la pièce propose des changements dans les genres dramatiques, les mouvements des comédien.ne.s, les décors, les costumes, sur tous les plans de la mise en scène finalement, ce qui permet d’exposer les multiples potentialités du théâtre, créant toutefois un melting pot parfois incohérent qui pousse à s’interroger sur les motivations de ces changements. En effet, les comédien.ne.s endossent des rôles qui ne sont pas assortis au sein d’une même séquence : quand Catherine est incarnée par Anne-Catherine Savoy dans un registre naturaliste, Andrei (Denis Lavalou) semble, lui, sorti d’une comédie, une sensation renforcée par son maquillage très marqué, tandis que l’infirmière (Prune Beuchat) énonce son texte de manière délibérément artificielle. Ce contraste pourrait sans doute être perçu comme un parti-pris cohérent du spectacle si les personnages ne changeaient pas en outre de registre au sein d’une même séquence : l’infirmière est, par exemple, dans la dernière pièce, tantôt ce personnage à la diction artificielle, tantôt une femme douce à la voix berçante qui apaise admirablement le spectateur. De même, Catherine, censée être la créatrice et l’interprète de la fameuse danse « Delhi », qui n’est jamais montrée, ne possède aucune caractéristique, dans ses gestes, qui pourrait rappeler cette activité de danseuse, tandis que les autres personnages, en particulier ceux de l’infirmière et de la critique Léra, se racontent cette danse avec poésie et grâce, ponctuant leurs propos de mouvements de mains ou de jambes souples et doux. Comme si la mise en scène n’avait pas su trancher entre deux options, celle d’ôter entièrement cette danse à la vue des spectateurs, et celle de la montrer un peu. Le spectacle recèle ainsi une multitude de séquences qui produisent un effet plaisant de façon autonome, mais perdent de leur superbe lorsqu’elles sont confrontées les unes aux autres.

Parmi ces nombreuses propositions, de belles pistes sont explorées comme le déplacement des chaises entre chaque pièce dans cette salle d’attente d’hôpital, qui permet des configurations scénographiques toujours différentes, renforcées par les changements dans la lumière – celle-ci diminue au fil de la représentation –, ou les variations de costumes pour le personnage de Léra. Dans son ensemble, le spectacle charme tout de même : il met en valeur le rôle de la mise en scène et du jeu dans l’interprétation du sens d’un texte, puisque les situations et les répliques qui se répètent invitent le spectateur à des interprétations à chaque fois différentes. En signant les papiers de l’infirmière, c’est le contexte qui risque de définir si nous nous sentirons dévastés, coupables ou apaisés.