Le masculin est hétérogène

Par Johanna Codourey

Filage professionnel de Les hommes ont les yeux qui brillent / Mise en scène par Marion Jeanson / Dramaturgie par Stéphanie Mango / Théâtre du 2.21 – Lausanne / Le 11 mars 2021 / Plus d’infos

© Hélène Morlaix

« Qu’est-ce qu’un homme, un vrai ? » Posant la question frontalement, les deux comédiens Dominique Tille et Lee Maddeford proposent une multiplicité de réponses qui permettent d’interroger la notion d’homme et de virilité. Joué par la Cie 5/4 dans le cabaret au 2.21 à Lausanne pour une captation professionnelle devant un public réduit en raison des mesures sanitaires, Les hommes ont les yeux qui brillent frôle parfois paradoxalement le machisme, mais réussit dans son ensemble à convaincre le public de sa visée critique.

Un fan de Roger Federer, un académicien, un cow-boy, un sosie de Michel Polnareff, un transgenre ou un garçon de banlieue sont quelques-uns des personnages qui entrent en scène pour témoigner, en paroles ou en chansons, d’une facette de ce que l’on appelle couramment « un homme ». Dominique Tille et Lee Maddeford veulent démontrer par là que le masculin est « non homogène ». Dans ce spectacle composé de saynètes, les deux acteurs exposent notamment l’obligation de se soumettre aux attentes liées au genre : certains personnages refoulent leur sensibilité alors que d’autres surinvestissent leur force physique (« une barre de testostérone dans un corps de légionnaire ») et leur puissance sexuelle. Mais finalement les hommes ont aussi le droit d’avoir les yeux qui brillent de larmes, selon une formule qui revient dans l’une des chansons du spectacle. Tout en fleurtant lui-même avec les ressorts un peu stéréotypés de la virilité, le spectacle critique ces clichés et surtout les contradictions liées au genre. La première saynète met en scène, dans cette perspective, un colloque lié au genre où une ribambelle d’auteurs sont cités dont Simone de Beauvoir ou Gille Deleuze.

« La honte d’être un homme, y a-t-il une meilleure raison d’écrire ? », écrivait Gilles Deleuze. Drôles ou tristes, les textes et témoignages de la pièce, écrits par différents auteurs romands – Stéphane Blok, Julien Mages ou le collectif AJAR – révèlent une pluralité de styles qui s’entrelacent et font varier, avec les personnages, les rythmes et les costumes, le plaisir de l’écoute, plus exigeant lors des propos, teintés d’un charmant accent anglais, de Lee Maddeford : une petite difficulté qui disparaît dès que celui-ci se met à chanter et à jouer ses compositions sur le piano à queue qui trône au milieu de la scène, entouré d’un simple banc côté jardin et, côté cour, d’un fauteuil.

L’avant-scène est laissée libre : les comédiens y réalisent quelques chorégraphies, dont une danse assez sexualisée et un numéro d’aérobic couplé à un haka. Cet espace est aussi celui des adresses au public, lorsque les personnages deviennent narrateurs – d’un match entre Roger Federer et Raphaël Nadal notamment. C’est aussi l’espace des confidences, abondantes en « quoi » et « tu vois » placés en fin de phrase : celle d’un homme qui ressent une forme de cycle menstruel, par exemple.

Observant de nombreuses facettes du masculin, le spectacle ne donne qu’une seule image, réductrice et assez stéréotypée, de la femme, ce qui peut gêner certain.e.s spectateur.trice.s. Il est vrai que l’épisode en question, celui d’une femme divorcée qui s’est extraite d’un « couple parfait : harceleur et victime » est aussi et peut-être surtout l’occasion de décrire encore un autre type d’homme, celui du mari, dans un rapport malsain entre les genres.

Les deux voix des comédiens s’accordent tout à fait puisque Lee Maddford chante sur une tessiture basse tandis que Dominique Tille nous emporte avec une voix de ténor sur des paroles souvent plus poétiques. 1h20 de spectacle qui sait accrocher le spectateur et le laisse sortir du théâtre le sourire aux lèvres.