Par Johanna Codourey
Une critique sur le spectacle :
Notre cabane / Écriture et mise en scène par Maria Da Silva / Scénographie par Fanny Courvoisier, lumières par Vicky Althaus et costumes par Maria Muscalu / du 5 au 7 mars 2021 / Théâtre de L’Étincelle – Genève / Plus d’infos
Deux cochons et un loup ne font habituellement pas bon ménage, mais dans le spectacle de Maria Da Silva, Notre Cabane, les trois animaux décident de se côtoyer afin de construire ensemble un environnement agréable à leur survie. Présentée en filage professionnel à l’Étincelle, maison du quartier de la Jonction, à Genève, devant un public réduit en raison des restrictions sanitaires, cette pièce pour enfants sait aussi séduire les adultes en mettant en scène la représentation d’un monde en décroissance, prôné même à travers l’utilisation du décor.
Deux cochons, Brindille (Isabela De Moraes Evangelista) et Vieille branche (Mathias Glayre), sont contraints de quitter leur maison pour éviter d’être envoyés à l’abattoir après avoir été dénoncés par Gros pilier qui « ne pense qu’au profit ». En quête d’une pleine liberté, ils se retrouvent dans la forêt, où ils rencontrent un animal (Ainara Lopez) que le spectateur imagine être un loup grâce à son cri, mais qui s’avère être autre chose, « car il n’a pas de grandes oreilles » et ne mange pas les deux protagonistes : un animal dès lors imaginaire, habitant de la forêt, qui, hormis ces trois cris de loup, garde le silence durant toute la pièce. Il devient le compagnon des deux autres et, ensemble, ils partent à la chasse et construisent une cabane qui représentera leur maison. Avec quelques adresses au public, Notre Cabane, invite – dès son titre inspiré du livre de Marielle Macé, Nos cabanes – à faire de cet espace non seulement la maison des trois protagonistes, mais aussi celle des spectateur.trice.s et évoque une forme de ZAD dans un univers de contes pour enfants, évoquant et détournant celui des Trois petits cochons.
Le spectacle représente avec une grande précision la gestuelle des animaux et leur comportement, tout particulièrement lors de la rencontre avec le loup où les deux comédiennes se reniflent et dansent ensemble à la manière d’une rencontre canine. Les déplacements du loup, une forme de danse souple composée de mouvements libres assez envoûtants, évoquent efficacement l’animalité, de même que, pour les cochons, les doigts en V qui forment un sabot et la présence de tics porcins comme le grattage d’oreille. Au point qu’on peine à saisir, lorsque les deux comédiens happés notamment par la construction de la cabane renoncent provisoirement à cette gestuelle, tandis que le troisième, qui joue le loup, reste parfaitement animal, ce qui justifie l’irruption de ce déséquilibre. Ces cochons semblent certes d’emblée plus humains que le loup : ils parlent, chantent et parfois même détournent des slogans de manifestation (« solidarité avec toute la basse-cour »), leur donnant un caractère revendicateur tant sur le plan social qu’écologique, et teintant ainsi la pièce d’une touche engagée.
Tous ces événements se déroulent dans un décor de forêt artificiel: les cinq arbres du plateau sont faits de lianes en caoutchouc noires ; une grande bâche noire, une couverture de survie, une grande feuille de plastique dur et quelques morceaux de treillis militaires répartis au sol matérialisent un sol de feuilles. Ces éléments servent également à faire tous les bruitages, la pluie étant réalisée par la couverture de survie tandis que la bâche piétinée produit le bruit des feuilles écrasées en forêt. Ils sont aussi tous utilisés pour la construction de la cabane : on assiste à un vrai recyclage du plateau, rien n’est laissé là dans une perspective uniquement esthétique.
Il en va de même pour la lumière : aucune régie n’est employée pour le spectacle, ce sont les acteurs qui allument ou éteignent les néons verts, jaunes, orange ou blancs très chauds qui se trouvent sur la scène et dans le public. Ce principe provoque parfois des courts temps de latence dus à la nécessité de trouver ou d’appuyer sur l’interrupteur. Ces lumières créent une atmosphère nocturne et très sylvestre qui manifeste sur le plan esthétique cette même ambition de décroissance. La mise en scène répond dès lors directement aux préoccupations écologiques perçues dans le discours des personnages.
Au milieu de leurs jeux d’enfants – 1, 2, 3 Soleil, course poursuite et bien d’autres – les trois animaux, surtout les deux cochons, se métamorphosent peu à peu : de créatures inquiètes, ils s’adaptent à leur nouveau milieu pour finalement se « connecter avec leurs cousins sauvages, les sangliers ». Un nouveau chapitre semble alors s’ouvrir, portant sur leur quête de nourriture, mais un noir de fin, surgissant au cœur de cette quête, laisse le spectateur surpris. Reste que les cochons ont réussi leur travail : avec leur devise « pas mieux avant que maintenant », ils semblent prôner un mode de vie au plus proche de la nature, plus simple. Le spectacle renforce l’envie des enfants de créer leur cabane en forêt… et ravive même ce désir chez les adultes.