Par Cloé Bensai
Une critique sur le texte de la pièce :
H.S., Tragédies Ordinaires / Du Collectif sur un Malentendu / Plus d’infos (Le Courrier)
Avec sa première écriture de plateau, le Collectif sur un Malentendu propose, d’abord au théâtre de l’Oriental à Vevey puis dans les écoles romandes si les mesures sanitaires le permettent, une pièce-conférence thématisant les violences en milieu scolaire. Adapté d’une œuvre originale de Yann Verburgh, H.S., Tragédies Ordinaires, ce texte en dix parties illustre les circonstances de ces violences, leurs variétés et acteurs, et s’interroge aussi sur la manière d’y faire face. Plus largement, c’est une croisade contre tous les amalgames, préjugés, et discours haineux dont la violence découle que mène l’enthousiaste Collectif.
G comme Groupe, G comme GIFLE : le Groupe d’Intervention Fédérateur Ludique et Educatif l’annonce d’emblée : il est venu pour déconstruire les dynamiques de haine, en proposant une conférence documentée. Les intervenants font rapidement un point sur des notions comme celles de violence, de harcèlement, d’intimidation, de conflit, trop souvent confondues. Le ton est familier, léger, parfois même comique, pour un message plus grave : une exhortation à la bienveillance.
I comme Intervention. Il s’agit-là d’une démarche pragmatique : agir pour prévenir, agir pour créer. Créer la liberté d’affirmer une identité choisie. A l’heure où, selon les termes de la chercheuse en études genre Caroline Dayer, « pouvoir être soi ne va pas de soi », la conférence souligne en effet que la notion d’identité est plus problématique qu’on le pense. Parfois, la violence survient pour sanctionner une couleur de cheveux, une origine ethnique, une pratique sexuelle ou bien religieuse. Le « garçon invisible », héros aussi bien que victime, dont on entrevoit « l’incroyable histoire », défie les obstacles pour s’effacer du regard de l’autre, évoluant dans un monde anxiogène où sa rousseur le contraint à tout anticiper. La « fille au cutter », scarifiée physiquement aussi bien qu’émotionnellement, voit s’ajouter à sa détresse psychologique une discrimination scolaire exercée par le corps enseignant. C’est même jusqu’à l’identité nationale qui est questionnée lorsque l’on évoque le colonialisme et son rôle dans le développement de notre pays. Comment échapper aux principes définis d’une identité prescrite pour atteindre l’idéale identité choisie, dans ces circonstances d’intimidation ? Peut-être en brandissant le F de « Fédération », qui rime avec « acceptation ».
Si les membres du G.I.F.L.E animent la conférence, ils jouent également des scènes dans lesquelles ils prennent le rôle d’enfants ou d’enseignants. On peut, à travers les quelques répliques de ces personnages éphémères, percevoir une saisissante détresse ou de fortes convictions. Leur anonymat témoigne de l’universalité des problématiques : chacun de nous peut être ce « Parent 2 », dont l’enfant souffre de culpabilité face au suicide d’une camarade, cette « Fille 1 », médisante pour garder la face lorsque l’impitoyable effet de groupe fait des ravages, ou « La principale à la cravate jaune », délibérément aveugle pour maintenir la réputation de son établissement. Et lorsque ces rôles sont assumés indépendamment des sexes et couleur de peaux des comédiens, le message est d’autant plus parlant. Les dialogues de sourds entre adultes et enfants, de même que le jugement incessant de l’autre apparaissent dans le texte avec une exactitude frappante. La « mascarade » sociale atteint son paroxysme quand on se rend compte que la préservation de l’image sociale l’emporte sur le sentiment de compassion.
Pour alléger la thématique et attirer la sympathie du public scolaire, on soulève le L de ludus : il s’agit aussi de jouer et rire. Certaines scènes représentant des tentatives d’intimidation sont drôles par leur puérilité, des insultes parfois inattendues fusent et, d’un coup, « face de bidet ! » répond à « ça va la tomate ? ». Ce sont aussi les changements de registre entre sérieux didactique et argot léger de la part des conférenciers qui portent au rire. Parfois formels, ils sont aussi friands de sorties familières et incongrues. Les rôles des personnages sont parfois également carnavalesques : des enfants responsables confrontent des adultes peu glorieux. Le texte séduit par son franc-parler : dans une scène, on aborde la question de la pilosité féminine exagérément condamnée. Dans une autre, on présente des images de la pratique du « sexe convivial » expérimentée par les chimpanzés. Pas de censure et de non-dit : le Collectif touche à tout, et l’honnêteté du discours sera certainement l’une des clés pour atteindre la complicité avec le public scolaire.
Les moyens déployés sont variés afin de faire comprendre aux élèves les vicieux mécanismes de la violence, et les références sont nombreuses. La métaphore de l’épée de Damoclès, ainsi que les anecdotes historiques auxquelles elle se rapporte illustrent le lourd sentiment d’oppression que peut ressentir une victime. Hop, soudain, l’un des conférenciers devient tyran de Syracuse tandis qu’un autre se transforme en Damoclès. Une autre fois, c’est le monde animal qui vient éclairer les comportements humains : les primates pratiquent « la consolation spontanée » pour sauver un bouc émissaire de l’exclusion définitive. Puis un passage en revue de l’image de la femme dans les peintures et sculptures classiques, récits populaires ou publicités contemporaines permet d’ouvrir les yeux sur l’étiquetage social. Une explication sur les ponts d’hydrogène et les cristaux d’eau complète le panel de références en questionnant la nature de l’influence que notre environnement exerce sur nous. Histoire, zoologie, histoire de l’art, littérature, chimie, disciplines auxquelles s’ajoutent des précisions étymologiques (salope, insulte, con, gouine), définitions (identité, revenge-porn) et références légales (code pénal suisse) soulignent le E, qui dans l’acronyme G.I.F.L.E désigne judicieusement l’Educatif.
Le texte est certes conçu pour les enfants, mais sa mise en scène – et la force de son message – ne fonctionne que par la collaboration des enfants. Dès le départ sont projetés à l’écran en arrière-scène des nuages de mots issus de rencontres dans les différents établissements. Le sens de l’urgence qu’ils transmettent ancre la problématique dans le réel et encourage à l’action. Par ailleurs, de même que les comédiens (en tant qu’eux mêmes, puisque portant leur véritables prénoms) sont impliqués dans la conférence, le public est mis à contribution pendant le jeu d’un conseil de discipline. Il s’agit de voter pour ou contre l’exclusion scolaire d’un des personnages. Il est également sollicité lors d’une séance d’échange à la fin du spectacle. Finalement, le pari du groupe est atteint : on apprend, on questionne, on est diverti, on se promet même d’être plus vigilant à l’avenir. On voit bien que, quand il s’agit de violences en milieu scolaire, c’est de A à Z que le Collectif sait faire le tour de la question.