Par Mélanie Carrel
Une critique sur le spectacle :
Le Conte des contes / D’après le texte de Giambattiste Basile / Conception et mise en scène par Omar Porras / TKM – Théâtre Kléber-Méleau / du 27 octobre au 22 novembre 2020 / Plus d’infos
Pour ses trente ans, le Teatro Malandro présente une adaptation du Conte des contes de Giambattiste Basile mise en scène par Omar Porras. Mélangeant le grotesque et le sublime, ce spectacle embarque son public dans un monde loufoque pour une exploration de l’art de raconter. A découvrir jusqu’au 22 novembre 2020 au TKM – Théâtre Kléber-Méleau.
L’être humain est fondamentalement un colporteur d’histoires, des histoires que nous avons besoin d’inventer, d’entendre, de partager… La scène du TKM est redevenue, ce mardi 28 octobre 2020, l’espace de tous les possibles imaginables et imaginaires. Après sept mois d’attente, la première du Conte des contes a pu avoir lieu devant un public avide de magie théâtrale. Cette adaptation de l’œuvre du même nom de Giambattiste Basile nous rappelle l’importance de rêver et de faire rêver dans un monde qui pousse à la mélancolie.
Il était une fois, dans une belle demeure située au creux d’une forêt, une riche famille : les Carnesino. Monsieur et Madame Carnesino et leurs enfants, Prince et Secondine, attendent avec impatience l’arrivée du Docteur Basilio. Celui-ci va tenter de soulager Prince, souffrant de mélancolie, au moyen de sa thérapie révolutionnaire: la guérison par les contes. Avec l’aide de toute la famille ainsi que du personnel de la maison, l’extravagante nourrice Caradonia Italia et le cuisinier masqué Corvetto Filadoro, les histoires vont défiler sur scène pour le plus grand plaisir du public. Car bien que souffrant des conséquences d’un autre virus que celui de la mélancolie, nous avons, nous aussi, bien besoin de nous évader, ne serait-ce qu’un instant, de la morosité des temps qui courent. Prince, c’est un peu nous.
La mise en scène est d’une précision sans faille. Des répliques et mouvements des personnages jusqu’aux lumières et à la scénographie, tout est rythmé et chorégraphié. Le conte des contes est une grande partition complexe jouée à la fois par les comédiens et les techniciens, à la fois par les corps, les projecteurs, les rideaux et les décors, se rassemblant dans une danse d’effets spéciaux. Toute cette musicalité est portée par les compositions de Christophe Fossemalle et de Philippe Gouin. Que ce soit par des sons, de la musique d’ambiance ou les chansons, interprétées avec justesse et talent par les comédiens, la création sonore transporte subtilement les personnages et le public à travers les différents niveaux et ambiances du spectacle.
C’est le Docteur Basilio, personnage précieux semblant sorti tout droit d’un cabaret baroque, qui tire les ficelles du spectacle et dirige la mise en abyme. Tel un marionnettiste, il manie les objets, les décors et les personnages à sa guise pour faire émerger les contes. Dans une atmosphère à la fois grotesque, tragique et sublime se succèdent de nombreuses fables dont certaines intègrent et détournent des figures bien connues comme Cendrillon, La Belle au bois dormant ou le Petit Chaperon rouge. Gare aux surprises !
Mais au-delà d’un florilège de récits, Le conte des contes du Teatro Malandro est une réflexion sur l’art de raconter. Lecture à voix haute, jeu de rôle, stand-up, slam, théâtre de marionnettes et d’objets, émission de radio… Les artistes jouent et déjouent les codes de ces différentes formes et proposent une variation de formats stimulante. Il en est de même pour le ton. Le spectacle fait se succéder sans transition une scène parodique et un slam anti-capitaliste écologiste, faisant passer le public du rire à un sérieux pouvant même s’apparenter à du recueillement.
C’est que Le conte des contes ne ménage pas son public. Les changements d’ambiance, d’esthétique et de ton plus que fréquents ne lui laissent pas le temps de devenir passif. Témoin d’une fête théâtrale, il est même convié à joindre sa voix à celle des personnages pour chanter l’alphabet, un exercice d’articulation plus périlleux que ce que l’on pourrait croire… Constamment stimulé, le spectateur prend un plaisir enfantin à comprendre et découvrir de quelle manière les différentes parties du spectacle sont construites. « Comment est-ce raconté? » est ici une question bien plus centrale que celle de savoir ce qui est raconté.
Porté par des artistes aux multiples talents, à la fois comédiens, musiciens et danseurs, Le conte des contes emmène son public dans un monde plein de contrastes, parfois violent, parfois doux, mais toujours magique. Et lorsque Prince finit par guérir grâce aux contes, nous remarquons qu’à travers lui, c’est nous que le Docteur Basilio a soignés. Le baume au cœur, nous sortons de la salle avec la certitude que le théâtre est un refuge dont l’être humain ne peut se passer. Un rappel nécessaire en ces temps de crise…