Y a que les routes qui sont belles

Par Monique Kountangni

Une critique sur le spectacle :
Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt / Concept et mise en scène de Fabrice Gorgerat / La Grange de Dorigny / du 25 au 29 février 2020 / Plus d’infos

© Fabrice Ducrest

Fabrice Gorgerat revient à la Grange de Dorigny avec un spectacle dont le dispositif scénique dense et riche invite à explorer d’autres voies puisque le constat est clair : le vieux monde est mort. Vive le monde nouveau !

En pénétrant dans la salle, le public découvre une scène chargée d’objets divers et occupée par cinq personnes assises autour d’une grande table, le tout éclairé en son centre par une lumière tamisée. À l’arrière-plan de ce plateau chargé, se dresse un grand écran qui projette, en noir et blanc, une forêt qui semble signaler d’entrée de jeu que le salut viendra par la nature, celle-là même que notre société malmène.

De la forêt et de la terre, il ne sera dit que peu de choses explicites. Le personnage interprété par Mathieu Montanier s’interroge, au début du spectacle, sur une société dans laquelle « un agriculteur, ça servira bientôt plus à rien » (en référence à un documentaire de Raymond Depardon datant de 2008) ; il pense alors à son oncle, un paysan qui s’est ôté la vie, et il partage avec le public la lecture d’un extrait du texte d’Henrik Ibsen qui dépeint un « guerrier tranquille » qui lui ressemble.

Le matériel scénique est un mélange d’un décor inspiré par Peer Gynt, d’un espace quotidien (une cuisine) et d’une sorte de laboratoire. Mais certains éléments (branches, bûches, animaux empaillés, manteaux de fourrure, etc.) illustrent sans doute une manière de vivre qui repose sur le prélèvement excessif et irrespectueux de ressources naturelles de la terre, ce qui cause les maux écologiques (re)connus aujourd’hui.

Face au constat que cet extractivisme est la cause de la disparition des écosystèmes, Fabrice Gorgerat et ses comédien·ne·s optent, dans un (ultime ?) élan vital, pour l’exploration de voies diverses permettant de réenchanter le monde. Ils proposent, en lieu et place du récit des aventures de Peer Gynt, une série d’expériences poétiques. La scène représente un laboratoire grandeur nature dans lequel chaque comédien·ne invite, à sa manière, le public à prendre au sérieux une entreprise qui peut prendre des formes étranges : dans un moment de solitude, Fiamma Camesi s’interroge sur les vertus du lait végétal en faisant sauter des crêpes ; Albert Khoza teste, de son côté, une approche rituelle et musicale ; Catherine Travelletti s’essaie au coaching astrologique. Mathieu Montanier questionne les vertus attribuées aux pierres et minéraux, tandis que Mathilde Aubineau – guerrière tranquille – s’affaire à construire du lien et veille aux fonctionnement des installations qu’elle compose et décompose sans bruit durant tout le spectacle. Ce faisant, tous et toutes s’accordent pour s’opposer fermement à la violence, à l’exploitation, à la croissance et pour enterrer un mode de vie qui ne leur paraît plus admissible.

De nombreuses alternatives sont évoquées. Fabrice Gorgerat et son équipe se gardent d’exposer une quelconque réponse dogmatique et figée. Ils n’ont aucunement la prétention d’offrir la panacée. Une seule certitude : « nous ne monterons par Peer Gynt » affirme le titre du spectacle. L’ancien monde patriarcal incarné par Peer Gynt n’a plus voix au chapitre. À chacun·e d’entrer dans la danse et d’adopter individuellement les gestes propices au renouveau – ou non. Le spectacle mérite d’être salué pour cette invitation à regarder vers l’avenir en osant réinventer un « collectif » autre.