Par Stella Wohlers
Une critique sur le spectacle :
Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt / Concept et mise en scène de Fabrice Gorgerat / La Grange de Dorigny / du 25 au 29 février 2020 / Plus d’infos
Fabrice Gorgerat déconstruit le drame du norvégien Henrik Ibsen pour présenter à La Grange de Dorigny, près de la forêt du même nom, un spectacle sur la quête de soi-même, dans un décor sauvage.
Un tas de bâtons de bois, un renard empaillé et des manteaux de fourrure : les objets présents sur la scène de Peer, ou nous ne monterons pas Peer Gynt évoquent un espace sauvage intégré dans un cadre apprivoisé. Les manteaux sont suspendus dans une penderie et les objets sont disposés sur de longues tables. Le spectacle ne cesse de manifester une tension entre civilisation et sauvagerie, avec un mouvement général de basculement – ou de retour – vers cette dernière : des verres, placés sur le sommet de plots en bois se retrouvent éclatés au sol par un effet de tremblement de terre. Une comédienne (Fiamma Camesi), d’abord observée, par le biais d’une vidéo, prenant soin d’elle sous la douche, apparaît plus tard sur le plateau en bête féroce, elle grogne, rumine et nous y retrouvons toute une ménagerie. C’est la sauvagerie de l’animal qui choque et interpelle le public, comme si la comédienne elle-même tentait d’amener cette bête à la vie et d’y unir son personnage.
À l’image de la pièce de 1867 relatant les aventures de Peer Gynt parti dans une quête de lui-même à travers diverses aventures, la pièce de Fabrice Gorgerat est composée de différents épisodes dont le lien est parfois difficile à saisir. Ce sont cependant les éléments du décor et le traitement de l’espace qui confèrent à la pièce son unité. En effet, les objets ne servent pas uniquement à donner au cadre une atmosphère sauvage et mystérieuse, mais permettent aux personnages d’avancer dans leur quête en explorant les diverses facettes de leur moi. L’espace devient un terrain de jeu, il est déconstruit pour être ensuite reconstruit. Alors qu’il n’a pas le droit à la parole, un personnage féminin (incarné par Mathilde Aubineau) est présent uniquement pour modifier cet espace et s’y intègre au point de faire lui-même partie du décor. C’est peut-être dans l’union de cet humain avec des objets de la nature que réside tout le message de cette pièce. L’homme doit se retrouver dans le lien avec le sauvage. Par l’utilisation de cet espace et la fusion avec celui-ci, la tension disparaît et laisse place à une harmonie.
Celle-ci s’impose au spectateur lorsque tous les personnages se rassemblent autour d’un point d’eau qu’ils ont construit. De l’eau traverse par des tuyaux plusieurs récipients à différentes hauteurs et se retrouve dans un étang miniature construit en direct sur la scène. Celui-ci est ensuite entouré de bougies, grâce auxquelles les comédiens tentent d’allumer du bois. Le feu qui allume le bois, l’eau qui coule depuis une élévation, le feu et la terre, l’eau et l’air : cette union des quatre éléments invite à méditer sur nos liens avec la nature. Une tentative de parvenir à des gestes certes innocents, mais sauveurs : allumer un feu et se réunir autour d’un point d’eau. Dans cette perspective d’harmonie, le jeu de construction du décor reflète celui qu’a effectué Fabrice Gorgerat sur Peer Gynt.