Par Noé Maggetti
Une critique sur le spectacle :
Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt / Concept et mise en scène de Fabrice Gorgerat / La Grange de Dorigny / du 25 au 29 février 2020 / Plus d’infos
La Grange de Dorigny a accueilli fin février un spectacle de Fabrice Gorgerat qui ne suit pas Peer Gynt à la lettre, mais utilise l’œuvre comme base pour évoquer des thématiques particulièrement actuelles sur le rapport de l’être humain à l’espace qu’il occupe.
Comme l’indique le titre du spectacle, la dernière création de Fabrice Gorgerat n’est pas à proprement parler une adaptation de Peer Gynt. Le drame d’Henrik Ibsen est bien présent dans cette mise en scène, mais comme un matériau parmi beaucoup d’autres, mobilisé ponctuellement pour nourrir un propos sur la difficulté d’exister dans un monde en plein effondrement, marqué par le réchauffement climatique, et sur l’éventuelle possibilité de reconstruire un espace viable.
Le spectacle se présente comme un agencement de séquences se déployant en parallèle ou l’une après l’autre dans différentes zones d’un plateau dont tous les éléments sont en constant mouvement. Tout commence par une réunion des différents protagonistes autour d’une table pour manger des crêpes, avant que l’un d’eux ne propose une lecture d’un passage de Peer Gynt. S’ensuivront une performance de chant au micro, l’imitation survoltée d’une créature surnaturelle se roulant dans de l’eau répandue sur une bâche, ou encore un moment autofictionnel pendant lequel un personnage narre plusieurs histoires contradictoires supposées témoigner chacune de la mort de sa mère. Ces différents moments, plus ou moins inspirés de Peer Gynt, ont pour points communs d’une part de traiter d’une forme d’incompréhension et de solitude face à l’absurdité de la destruction de la terre-mère par la société moderne, et d’autre part de mettre en scène différentes tentatives de retrouver une place dans un monde en train de flancher.
Le plateau participe ainsi pleinement de la construction du propos du spectacle, au point que l’une des comédiennes n’a pas d’autre rôle que de contribuer à ses transformations. En effet, cet espace chargé d’une multiplicité d’accessoires – une table et des chaises, un micro, des récipients en verre, des cylindres de bois, mais également un réservoir contenant de l’eau ou encore un renard empaillé –, est sans cesse adapté aux besoins particuliers des différentes performances qui s’y succèdent. Le dispositif scénique fonctionne ainsi comme une forme de laboratoire, véritable terrain d’expérimentation modelable à souhait qui se met au service de chaque saynète interrogeant de manière originale notre rapport à une nature en plein affaissement.
Si la constitution de la scène en espace privilégié sur lequel on peut agir pour tenter de l’occuper au mieux représente la dimension centrale du spectacle, elle se double d’une certaine ironie portant sur la manière dont les humains se comportent face aux difficultés que rencontre la planète aujourd’hui. Ainsi, le spectacle semble se moquer des fromages vegan ou d’une conception du bien-être impliquant la sacralisation des pierres ou d’éléments naturels. Cette forme de cynisme semble parfois en contradiction avec un autre message du spectacle, qui paraît de prime abord vouloir offrir une véritable lueur d’espoir face à une situation dramatique. À moins qu’elle ne problématise plutôt la nécessité de toujours questionner nos choix et notre manière d’être, même lorsqu’il s’agit de reconstruire le monde et de s’émerveiller devant lui, démarche ambivalente que le théâtre de Fabrice Gorgerat semble permettre.