La beauté est dans l’œil de celui qui regarde

Par Monique Kountangni

Une critique sur le spectacle :
En chemin / Texte et mise en scène de Gustavo Giacosa / La Grange de Dorigny / du 5 au 6 mars 2020 / Plus d’infos

© Patrick Blanchard

Lausanne, La Grange de Dorigny. Six comédien.ne.s performent, chantent, dansent, s’essoufflent parfois et nous font oublier la pluie diluvienne en nous embarquant pour un spectacle inclassable dont la musicalité et la subtile poésie enchantent.

L’important ce n’est pas la destination, c’est le voyage écrivait l’écossais Robert Louis Stevenson, maître du roman d’aventure et grand voyageur. Il arrive pourtant que le voyage et la destination rivalisent d’enchantement.

Un décor noir. Des comédien.ne.s vêtu.e.s de noir. Des accessoires noirs eux aussi. Le kit parfait pour une histoire sombre et macabre, ce que semblent confirmer les premières minutes du spectacle, qui mettent en place une tension palpable. Et pourtant, la lumière chaude laisse penser que l’espoir persiste. Le personnage principal (incarné par Gustavo Giacosa lui-même) est emporté dans une course folle et incontrôlable. L’attention se focalise sur ses mains, parfois seules éclairées, et sur son souffle qui évoque cette course effrénée et terrifiante à certains égards.

On comprend rapidement que l’histoire se passe dans sa tête. Des comédien.ne.s incarnent les voix du passé auxquelles il tente d’échapper, des parties de lui-même qu’il n’assume pas – par lesquelles il est assailli de jour et de nuit. Leurs assauts personnifient l’emprise que l’on peut ressentir lorsque nos propres démons tentent de prendre le dessus pour nous empêcher de poursuivre notre quête (identitaire, par exemple).

La musique est présente sous diverses formes, que ce soit dans la musicalité – tantôt brutale, tantôt tendre – des mots ou dans les notes déversées sauvagement ou doucement par un musicien (Fausto Ferraiuolo) sur le piano électrique, visible sur le côté de la scène. Même les installations (souvent feutrées et dans le noir) entre les séquences participent à cette omniprésence de la musique.

Les comédien.ne.s performent et questionnent nombre de thématiques parmi lesquelles la sacrosainte maternité – représentée avec une poitrine outrageusement développée – invitant l’humour à la table de ce questionnement incessant que vit le personnage. Une autre image récurrente est celle du pater familias, présence écrasante même et surtout lorsqu’il est placé dans un rôle d’observateur silencieux. Dans la lignée de Pippo Delbono, Gustavo Giacosa réussit grâce à la présence scénique de deux comédiens en situation de handicap mental à produire un effet d’authenticité dans l’expression de ces voix intérieures.

En chemin mène le public hors des sentiers battus où l’innocence pure jaillit des moments sombres. La poétique des mots et des gestes, accompagnée des émotions transmises par la musique, font basculer le public dans une contrée enchantée. Le questionnement sur la vie après ce cheminement reste entier et pourtant l’énergie vitale générée par ce spectacle revigore. En ces temps tourmentés, voilà qui est jouissif.