Par Margaux Farron
Une critique sur le spectacle :
Le sexe c’est dégoûtant / Texte d’Antoine Jaccoud / Mise en scène de Matthias Urban / La Grange de Dorigny / du 31 janvier au 8 février 2020 / Plus d’infos
Depuis le 31 janvier, la Grange de Dorigny accueille le nouveau texte de son résident, le journaliste, sociologue et écrivain vaudois Antoine Jaccoud, mis en scène par Matthias Urban. Le sexe c’est dégoûtant est une proposition subtile et décalée au croisement entre consultation psy et comédie satirique, qui aborde sans tabou (ou presque) la pratique de l’échangisme. Un cocktail plein d’humour et de justesse made in Switzerland.
Dans un décor d’une sobriété clinique, Brigitte et Enzo attendent avec impatience l’arrivée de leur couple d’amis Marc et Sandy qu’ils désirent initier à la pratique de l’échangisme. Le spectacle ne montre pas le déroulement de cette rencontre hors du commun mais porte son attention sur ce qui précède et suit cette fameuse soirée. Les couples ne se croisent jamais sur scène et se confessent en duo au public au sujet de leur vie commune et de leur rapport à la sexualité.
L’espace scénique ne comportant que des panneaux de couleur blanche et un divan bleu fait hésiter le spectateur, qui peine à définir si l’action est en train de se jouer chez un psychologue ou dans le salon d’Enzo (Antonio Troilo) et Brigitte (Shin Iglesias). D’emblée, les protagonistes instaurent une adresse directe au public qui se voit alors confier le rôle du confident ou du psychologue. Le jeu très réaliste des comédiens – ponctué d’hésitations et de moments de gêne – propulse dans l’intimité du couple. Se noue une relation d’empathie et de familiarité, qui place les protagonistes en situation d’aborder publiquement, avec humour et insouciance, le thème toujours tabou de la sexualité libertine.
Sexualité, échangisme, libertinage : derrière ces pratiques qui font tantôt fantasmer, tantôt frissonner ou soupirer la trop sage population suisse, Antoine Jaccoud perçoit la silencieuse solitude du XXIe siècle et la tentative désespérée de nouer des liens. Sous leur apparente plénitude sexuelle, Brigitte et Enzo évoquent, entre les lignes, l’absence douloureuse d’un enfant et la perte trop soudaine d’un père. Afin de combler cette sensation de vide, pas d’échangisme pour Marc et Sandy mais une passion « dévorante » pour les randonnées en montagne. Au fond de ces grosses chaussures se trouvent pourtant mal camouflés le cruel manque d’intimité ressenti par Sandy (Isabelle Graillat) et le récent burn out de Marc (Roberto Molo).
Dans leurs discours pleins d’entrain et d’optimisme pointe un sous-texte désenchanté et sinistre révélant une profonde sensation de vide. Face à leur nouveau confident (le public), les protagonistes gardent la tête haute et font miroiter un discours euphorique. Les contrastes entre les propos et le langage corporel qui les accompagne provoquent éclats de rire et dénoncent l’hypocrisie de ce discours. La répétition obsessionnelle, dans la conversation, de motifs dérisoires – la perfection des olives Kalamata, le comportement joueur des marmottes suisse-allemandes ou le tiramisu – renforce cette impression. Face à cet indicible manque du XXIe siècle, le fantasme du libertinage pour les uns, ou la passion de la montagne pour les autres, apparaissent comme la possibilité rêvée d’une évasion et la promesse trompeuse de combler ces vides affectifs.
Pourtant, dans cet univers hypocrite et désenchanté pointe une lueur d’espoir et d’optimisme, incarnée par le personnage de Monsieur Horvath (Matthias Urban), voisin de Brigitte et Enzo, qui fait irruption à deux reprises dans cette routine en amenant la fraîcheur de la nouveauté. L’arrivée du personnage sur la scène bouleverse le statisme de la situation et insuffle dynamisme et énergie à la pièce. Malgré le regard lucide que pose Antoine Jaccoud sur l’hypocrisie et la superficialité de notre société tape à l’œil, Le sexe c’est dégoûtant apporte aussi et surtout, grâce à cette perturbation, la promesse d’un futur étonnant et plein de surprises.