Small g – Une idylle d’été

Small g – Une idylle d’été

D’après Patricia Highsmith / Mise en scène par Anne Bisang / TPR – Théâtre populaire romand / du 16 au 19 janvier 2020 / Critiques par Margaux Farron et Emmanuel Jung.


« Je t’aime, moi non plus »

19 janvier 2020

© Guillaume Perret

Dans les locaux du Théâtre populaire romand se joue une douce idylle d’été où flotte un air d’amour et de liberté. La directrice et metteuse en scène Anne Bisang présente Small g – Une idylle d’été, adapté du dernier roman de Patricia Highsmith. Un « soap-opera » moderne et décalé qui retrace l’émancipation morale et sexuelle de la jeunesse zurichoise des années 90.

Small g – Une idylle d’été dépeint la vie mouvementée qui anime le café zurichois gay-friendly Chez Jacob. Rickie, publicitaire homosexuel, et Luisa, jeune apprentie couturière sous les ordres tyranniques de sa terrible patronne Renate, se retrouvent chaque soir au coin du bar. Les deux personnages sont anéantis par le meurtre de Peter, pour lequel tous deux partageaient des sentiments amoureux. Quelques semaines plus tard, l’apparition du jeune et éblouissant Teddie ravive leur désir et perpétue l’intense triangle amoureux. Découverte du désir et de la sexualité : la pièce aborde sans tabou l’émancipation de cette jeunesse qui fait face aux mœurs sévères d’une Suisse conservatrice.

Small g revient sur le conflit générationnel qui partage la Suisse et évoque le combat de la communauté LGBT qui tente de trouver sa place au sein de ce pays. Signée Mathieu Bertholet, cette adaptation théâtrale du texte de Patricia Highsmith paru en 1994, qui offrit à la communauté LGBT une visibilité sur la scène littéraire, fait toujours mouche aujourd’hui et pousse le spectateur à questionner les mentalités actuelles.

La scénographie d’Anne Popek emmène le spectateur au cœur du café. Lieu de quartier où tout se sait et où les rumeurs se propagent, celui-ci devient une sorte de théâtre dans le théâtre. Le décor très réaliste n’occupe pas la totalité du plateau et laisse sur les côtés un espace neutre où les comédiens viennent observer, raconter, préciser et commenter à l’adresse du public le déroulement de l’histoire. Les maigres décors figurant les autres lieux fictifs (la chambre de Rickie, la maison de Renate, le KunstMuseum de Zurich, etc.) font parfois irruption au milieu de la salle du café matérialisant ainsi la métaphore du théâtre de la vie quotidienne.

Pour pimenter ce récit à l’eau de rose, Anne Bisang opte pour une mise en scène décalée et teintée d’humour qui souligne l’artificialité romantique de cette histoire. A plusieurs reprises, la metteuse en scène prend ses distances avec la fiction et déjoue les effets de surprise. Au milieu du monologue de Rickie, elle fait par exemple appel à un dispositif et à une terminologie de tournage cinématographique (action ! – coupez !) afin de mettre à nu la préparation mentale et émotionnelle du comédien. La mise en place des accessoires précède souvent les actions des protagonistes anticipant ainsi le développement de l’intrigue.

Le jeu relativement réaliste des comédiens est ponctuellement déstabilisé par l’irruption de comportements et de gestes robotiques, décalés ou absurdes. A plusieurs reprises, les comédiens eux-mêmes deviennent spectateurs et se permettent de commenter et de se moquer de la rigidité stéréotypée des personnages ou de la légèreté de l’intrigue. L’ajout de mouvements et de déplacements chorégraphiés et répétitifs participe également à l’ambiance décalée du spectacle et à l’effet de distanciation vis-à-vis de la fiction.

Toute la force et l’originalité du spectacle résident dans cette atmosphère absurde. Anne Bisang parvient à entraîner le spectateur dans un univers festif tout en lui rappelant continuellement, et avec humour, l’artificialité inhérente au genre théâtral.

19 janvier 2020


La légèreté du conte

19 janvier 2020

© Guillaume Perret

Au Théâtre populaire romand de La Chaux-de-Fonds, Anne Bisang met en scène le dernier roman de l’autrice américaine Patricia Highsmith, Small g : Une idylle d’été, réécrit par Mathieu Bertholet pour l’occasion. Un spectacle musical et coloré, (trop) vif, qui fait fi de la dimension psychologique du roman en ne considérant guère les doutes existentiels du personnage principal, Rickie.

Publié en 1994 alors que Patricia Highsmith habitait en Suisse depuis quatorze ans déjà, l’intrigue de Small g : Une idylle d’été prend place dans le milieu gay zurichois des années 1990. Small g – le g signifiant que le lieu est gay-friendly, c’est le nom qu’endosse le bar Chez Jakob pour les soirées du vendredi et du samedi. Le début du roman, comme celui du spectacle, n’ont cependant rien de festif : tous deux commencent par l’assassinat au couteau de Peter, le copain de Rickie, dont est aussi amoureuse une dénommée Luisa. S’ensuit une longue période de déprime pour Rickie – qui est, de plus, atteint du sida – jusqu’à ce qu’il rencontre, un samedi soir au Small g, un somptueux jeune homme, Teddie, fils à maman BCBG qui croit avoir un talent certain dans le journalisme… Teddie craque néanmoins pour Luisa, elle-même convoitée par Dorrie, une autre habituée des fêtes du Small g. Parallèlement, Luisa travaille et loge chez la terrible Renate, vieille femme extrêmement homophobe et possessive avec ses employées, à qui elle ne laisse aucune liberté.

Lors de l’introduction au spectacle, Anne Bisang a tenu à souligner que Mathieu Bertholet, dans sa réécriture, avait fait une adaptation « à partir des mots du texte », c’est-à-dire que « tous les mots [du spectacle] sont ceux du roman ». Il en a conservé la majorité des dialogues. Les parties narrées (qui se présentent souvent au public comme des sortes de didascalies énoncées à haute voix), ainsi que certaines pensées que le roman exprimait en discours indirect libre ou en focalisation interne sont ici récitées par tous les personnages en alternance, et parfois grâce aux voix des comédien.ne.s pré-enregistrées. Dans un premier temps, cette narration et ces pensées sont principalement déclamées sur les côtés de la scène, face au public, où sont installés des micros. Ce dispositif disparaît peu à peu, narration et dialogue s’entremêlant de plus en plus.

Sur scène, un seul décor : le bar Chez Jakob, aux allures très nineties, carrelage kitsch et banquette en cuir rouge. Ce décor n’évolue pas, mais certaines scènes se déroulent dans d’autres espaces diégétiques (chez Rickie, chez Renate, etc.), les comédien.ne.s faisant dès lors comme s’ils et elles étaient ailleurs. Ce principe du décor unique permet d’accélérer le récit et ainsi de traverser les presque quatre cent pages du roman en deux heures. Mais ce rythme effréné, accentué par les multiples entrées et sorties des personnages et par leur mobilité constante, et doublé de la suppression d’une bonne partie de la narration, empêche chaque scène d’être approfondie et escamote la dimension psychologique du personnage de Rickie, pourtant importante dans le texte de Patricia Highsmith. Conséquemment, le spectacle efface la substance neurasthénique du roman en n’abordant à aucune reprise, par exemple, les fréquents questionnements existentiels de Rickie sur sa dégradation physique due à l’approche de la cinquantaine.

Le roman de l’autrice américaine comporte par ailleurs plusieurs références intertextuelles, du Songe d’une nuit d’été à Cendrillon. Dans cette lignée des contes merveilleux, les personnages y sont très archétypaux (Renata la sorcière ou la marâtre de Cendrillon, Teddie le prince charmant, Luisa Cendrillon), ce sur quoi Anne Bisang a clairement mis l’accent dans sa création également. Le problème, c’est qu’un jeu d’acteur caricatural s’additionne ici à des personnages stéréotypés : plus le spectacle avance, plus se fait jour une volonté de parodier les scènes en les surjouant – en exagérant les gestes, les postures, les déplacements, bref, toute la kinésie – afin de leur insuffler un caractère comique, propageant une légèreté qui ne colle pas avec certaines situations graves et alarmantes.

Malgré tout, le remarquable travail effectué sur les déplacements des comédien.ne.s dans l’espace scénique offre au public une véritable chorégraphie :  rapprochements, éloignements, jeux de regards en fonction des affinités et des relations entre les protagonistes. Car Small g – Une idylle d’été, dans la version d’Anne Bisang, est un hommage musical fort ; de nombreux « tubes » traversent la pièce, de Whitney Houston au tango de Grace Jones, en passant par C+C Music Factory ou Sinead O’Connor, accompagnés à chaque fois d’un nouveau ballet des corps, donnant au spectacle un caractère festif et divertissant.

19 janvier 2020


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