Un conte de Noël
D’après Charles Dickens / Adaptation et mise en scène de Claude-Inga Barbey / Théâtre de Carouge / du 3 au 22 décembre 2019/ Critiques par Judith Marchal et Manon Lelièvre.
Noël avant l’heure
22 décembre 2019
Par Judith Marchal
Un vent de fêtes commence déjà à souffler sur le Théâtre de Carouge, à Genève. C’est que la metteure en scène et comédienne Claude-Inga Barbey y présente Un conte de Noël, son dernier spectacle adapté du célèbre conte Christmas Carol de Charles Dickens. Drôle et poétique.
Ecrite par le romancier britannique Charles Dickens en 1843, l’histoire d’Ebenezer Scrooge est désormais un grand classique dans le monde occidental. Réinterprété par Walt Disney ou mis en scène sous forme de comédie musicale par le compositeur américain Alan Menken, ce conte de Noël a constamment fait l’objet de réadaptations.
Dans la version qu’en propose Claude-Inga Barbey, Marguerite, une servante grincheuse et rustre, se charge de débuter la narration en s’adressant au public. Elle est l’employée de Madame Arabella Scrooge, une vieille femme pingre et acariâtre passant son temps à se plaindre de la chute du cours de l’indigo. Ces personnages, dont les relations s’apparentent à celles des maîtres et serviteurs de Molière, n’existent pas dans la version de Dickens. Leur création est une liberté prise par Claude-Inga Barbey, qui se place ainsi sur les planches aux côtés de la comédienne Doris Ittig. Une relation comique qui rythme à merveille le spectacle et apporte des rôles féminins sur une scène qui serait, autrement, essentiellement occupée par des hommes.
L’histoire mène finalement à Monsieur Scrooge, Ebenezer de son prénom, un homme profondément odieux. Avare, méprisant et égoïste, il ne se soucie guère de la misère qui l’entoure. Mais durant la nuit de Noël, il reçoit la visite de trois fantômes : celui des Noëls passés, celui du Noël présent et celui des Noëls futurs. Ces esprits lui font revivre ses douloureux souvenirs de jeunesse, lui font voir les tristes célébrations à venir s’il ne s’amende pas et le font assister au réveillon de son neveu et employé Bob Cratchit, qui ne peut nourrir sa famille. Autant d’évènements auxquels il assiste, invisible et impuissant.
Appuyée par la remarquable scénographie de Mathias Brügger, la mise en scène plonge le public dans l’univers victorien de Dickens. Le décor, constamment changeant, contribue à l’onirisme du spectacle. Le lit géant de Scrooge se transforme tantôt en façade, tantôt en théâtre de marionnettes. Sur scène, pas d’enfants, mais des plumes multicolores pour les symboliser. Un choix artistique quelque peu déroutant au début, qui trouve toute sa douceur au fil de la représentation. La touche musicale apportée par les cantiques chantés par le chœur de la troupe du théâtre amateur du Théâtre de Carouge accompagne parfaitement le reste de la représentation et plonge la salle dans l’ambiance festive de Noël.
Sur un fond d’histoire qui se veut plutôt triste, les traits caricaturaux attribués aux personnages des « pauvres » sont toutefois si prononcés par moment – au même titre que ceux des trois esprits de Noël aux caractéristiques comiques appuyées – que cela atténue la grâce et la dimension tragique de certaines scènes, poignantes chez Dickens connu pour dénoncer les inégalités sociales. Cela n’enlève rien à la qualité d’interprétation des comédiens, qui offrent une prestation vivante et soignée. Claude Vuillemin propose ainsi un Monsieur Scrooge touchant et convaincant, qui capte l’attention du public jusqu’à sa rédemption finale.
Plutôt destinée à un public adulte ou adolescent, l’adaptation garde néanmoins toute sa magie, qui atteint son paroxysme lorsque Pierric Tenthorey (Bob Catchit) mêle ses qualités de magicien à son personnage et réalise quelques vrais tours sur les planches. Entre flocons, paillettes, tintements de grelots, cette soirée ne fera que rappeler l’aspect intemporel des histoires de Noël.
22 décembre 2019
Par Judith Marchal
Chant de Noël
22 décembre 2019
Par Manon Lelièvre
Une mise en scène simple, efficace et agréable, qui s’inspire étroitement du conte de Dickens. Dans une atmosphère joyeuse, malgré quelques pesanteurs dans le jeu très expressif, l’histoire déjà cent fois racontée, mais jamais lassante, nous rappelle la joie de se retrouver en famille pendant Noël et de partager un moment unique avec ceux que l’on aime.
C’est la veille de Noël et le grincheux M. Scrooge, avare et insensible, est le seul à ne pas s’en réjouir. Ou presque : car chez Claude Inga-Barbey, il y a aussi son affreuse tante Arabella (incarnée par la metteure en scène elle-même), qui martyrise sa pauvre domestique Marguerite (Doris Itting). On comprend rapidement l’attitude de Scrooge, lorsqu’on voit la femme qui l’a élevé : impoli avec ses concitoyens, odieux avec les plus malheureux et particulièrement insensible au sort de son commis et neveux Bob Cratchit, Ebenezer Scrooge n’est aimé de personne. Le fantôme de John Marley, son ancien associé, couvert des chaînes forgées par l’accumulation des richesses, lui prédit une fin semblable à la sienne s’il ne change pas. Trois Esprits de Noëls lui apparaissent. L’un le transporte dans ses douloureux Noëls passés, un autre dans le présent du pauvre repas de Noël de la famille Cratchit, heureuse pourtant d’être réunie, et le dernier dans son terrifiant Noël futur. Emu et dévasté à la vue de tant de malheurs, Scrooge promet qu’il changera. Dès son réveil, heureux, il fait un don pour les pauvres, il augmente le salaire de son neveu et achète une énorme dinde pour sa famille. Il rend même visite à sa vieille tante pour lui pardonner, même s’il est trop tard pour elle. Et tout finit bien, grâce à la magie de Noël.
La scénographie nous transporte immédiatement dans l’Angleterre de l’époque victorienne : longues robes pour ces dames, cannes et hauts de formes pour ces messieurs, brouillard envahissant dans les scènes de rue. Un grand lit à baldaquin mobile, pièce maîtresse du décor, se décline en différentes bâtisses grâce à un ingénieux système où, de chaque côté, coulissent des tissus décoratifs. Mise en mouvement, la structure permet de voyager aisément d’un endroit à un autre. Quelques meubles la complètent selon les scènes, pour marquer la particularité des différents lieux
Le cadre est celui d’un Londres en pleine révolution industrielle qui fait la fortune de certains, mais où se pressent des centaines de misérables dans les rues. Cette thématique, chère à Dickens, se retrouve dans les différentes élocutions. En effet, un travail impressionnant de la part des acteurs a été réalisé sur le style énonciatif de chaque personnage. Le parler de la bonne servante, Marguerite, avec sa voix rauque et son langage quelque peu grossier contraste avec l’accent anglais pincé de sa maîtresse, qui incarne les valeurs égoïstes de la haute société. Toute la famille Cratchit a un cheveu sur la langue, comme pour marquer la simplicité de leur vie pauvre et difficile mais heureuse, presque naïve. Au contraire, M. Scrooge, parle durement, à l’image de son cœur de pierre. Ces types aux traits très marqués rappellent l’univers du conte, même si le choix d’un jeu caricatural, parfois excessif dans certaines scènes, nuit parfois à la bonne saisie des propos par les spectateurs.
La magie de Noël est sans cesse convoquée sur la scène par la bonne humeur des dialogues, entrecoupés par de la musique et des chants. Les effets spéciaux, loin d’être spectaculaires, sont simples et efficaces, ce qui leur donne toutes leur force. Avec un simple jet de paillettes, les esprits de Noël réalisent des miracles. Les enfants sont poétiquement remplacés par des plumes, comme pour rappeler leur innocence angélique. Plus encore que la magie de Noël, c’est la magie du théâtre qui se joue devant nos yeux. Comme les tours de passe-passe que réalise en direct Pierric Tenthorey, tout devient possible sur la scène.
22 décembre 2019
Par Manon Lelièvre