L’île désenchantée 

Par Margaux Farron

Une critique sur le spectacle :
Crash Park, la vie d’une île / Texte et mise en scène de Philippe Quesne / Théâtre de Vidy / du 11 au 14 décembre 2019 / Plus d’infos

© Martin Argyroglo

Le collectif Vivarium Studio présente son nouveau spectacle conceptualisé par l’auteur, metteur en scène et scénographe Philippe Quesne. Crash Park, la vie d’une île propose une réécriture contemporaine et audacieuse du topos littéraire de l’île déserte. Une plongée décalée dans un microcosme tropical aux airs de Jules Verne et de Robinson Crusoé !

Pastichant le traditionnel scénario catastrophe du film de genre, Philippe Quesne met en scène le crash d’un avion. Les survivants échouent sur une île déserte recouverte par une végétation tropicale luxuriante et surplombée par un volcan. Condamnés à demeurer sur cette maigre parcelle de terre, les rescapés s’approprient ce territoire et le transforment au gré de leurs désirs. Comme l’indique bien son nom, le collectif Vivarium Studio, conçoit la scène comme un microcosme artificiel où évolue, le temps du spectacle, une petite communauté d’individus. Le spectateur, comme penché au-dessus d’une vitrine, occupe ainsi une place de choix pour observer les dynamiques de la microsociété de Crash Park.

Dans ce spectacle, Philippe Quesne effectue quelques variations autour du motif de l’île déserte omniprésent dans la tradition littéraire et cinématographique occidentale. L’île est aussi un lieu utopique, un écrin de naturalité où l’homme revient à un état primitif fantasmé loin de toute civilisation. En citant Daniel Defoe et Jules Verne, le metteur en scène inscrit Crash Park dans une continuité historique parcourue, au fil du spectacle, par les protagonistes qui enfilent tour à tour des habits de fortune composés de feuillages, des robes à paillettes très contemporaines, avant de finir avec des vêtements et des perruques tout droit sortis du XVIIème siècle.

Pourtant, Crash Park déconstruit peu à peu ce fantasme de naturalité. Les survivants s’établissent sur l’île sans difficulté majeure et transforment petit à petit cet écrin de verdure en pur produit industriel. Le décor monumental, qui semble au premier abord très réaliste, est déconstruit au fil du spectacle. La végétation est arrachée et les parois rocheuses du volcan sont ôtées par les comédiens. La puissante montagne se transforme en bar à cocktails, boîte de nuit électro, scène musicale, librairie itinérante, carrousel de fête foraine jusqu’à ressembler à une soucoupe volante – ou à un avion gros porteur. Un décor en toc habilement exploité par le metteur en scène qui souligne l’hypocrisie – ou la bêtise – d’une société industrialisée et artificielle qui rêve de nature et de primitivité.

L’étrangeté des comportements est accentuée par le jeu des comédiens dont l’enthousiasme enfantin contraste avec la situation dramatique des personnages. Ces derniers évoluent comme des pantins euphoriques dont on aurait retiré toute capacité réflexive et toute profondeur sensible. Ils s’amusent, boivent des cocktails, détruisent les ressources primaires sans aucun scrupule mais sans aucune violence. Leur jeu détonnant participe à la singularité du spectacle : une fable totalement dépourvue de didactisme et de manichéisme.

Pour conter cette drôle d’histoire, le collectif limite au maximum l’utilisation de la parole et fait appel à l’expressivité de la musique. Les relations, les activités et les formes de vie qui s’instaurent dans cette microsociété bon enfant sont exprimés par le chant et la danse. Le choix d’une playlist résolument hétéroclite déstabilise les spectateurs, brouille leur perception, les empêche en tous les cas d’interpréter tragiquement la transformation de l’île.

Une pièce qui trouble, surprend et fait sourire mais qui touche avec une justesse désenchantée aux problématiques majeures de notre société contemporaine.