Par Océane Forster
Une critique sur le spectacle :
Traviata – Vous méritez un avenir meilleur / Conception par Benjamin Lazar, Florent Hubert et Judith Chemla d’après Giuseppe Verdi / Mise en scène de Benjamin Lazar / Théâtre du Jorat / du 12 au 13 juin 2019 / Plus d’infos
Production du célèbre théâtre parisien des Bouffes du Nord, la Traviata – Vous méritez un avenir meilleur, se déclare librement nourrie de toutes les variantes de l’histoire de Marie Duplessis, de Marguerite Gauthier dans la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils à Violetta Valéry dans La Traviata de Verdi. Benjamin Lazare offre une mise en scène qui se veut au carrefour du théâtre et de l’opéra, entremêlant sur scène huit musiciens et cinq chanteurs, tous comédiens. Une création frontale, concentrée à l’avant-scène, et libérée de la fosse d’orchestre. Faisant peu usage des coulisses, elle dresse un espace de jeu unifié sur lequel se succèdent toutes les voix, qu’elles soient de bois, de cuivre ou de chair.
La pièce s’ouvre sur une ambiance de fête techno sous influence, où hommes et femmes se cherchent et se fuient sous un large rideau de tulle blanche, déployé depuis le gril jusqu’à l’avant-scène. Déjà un jeu se met en place entre répliques en français, en italien, poésies déclamées, et badineries festives. Dans ce brouhaha obscur commence La Traviata. Abordé d’abord avec légèreté, le texte est parlé, en français, puis chanté, en italien, souvent ponctué de résumés en français censés dispenser le spectateur du traditionnel sur-titrage des opéras. Dans l’univers parisien du XIXe siècle, entre opiacés et courtisanes au destin tragique, la scénographie d’Adeline Caron décline un univers à la fois sombre et végétal, posant une atmosphère étrange vaporeuse et voluptueuse parfumée de relents acides et sulfureux. Par ailleurs, pour servir cette approche historicisante, s’immiscent dans la pièce des inserts tirés de l’actualité du milieu du XIXe, comme le récit d’une pose pour la réalisation d’un portrait au daguerréotype.
Malgré une volonté affirmée de proposer une adaptation hybride de l’opéra de Verdi, il semble persister ici une certaine insolubilité entre les pratiques de l’opéra et celles du théâtre : certaines scènes de Verdi sont gardées quasiment intactes, même si elles sont repensées pour une distribution musicale réduite, tandis que le jeu parlé prend des allures d’intermède. Une sorte d’attiédissement résulte de cette synergie manquant de radicalité. Pourtant la démarche, explorant les possibilités de jonction entre le chant lyrique et le théâtre parlé, profitant d’une certaine souplesse dans l’interprétation, se profilait pour être fort intéressante. Il est d’ailleurs possible d’entrevoir, à certains moments de la pièce, une combinaison réussie lorsque la musique est véritablement traitée comme une réplique ou dans les moments d’enchaînements sans transition entre chant et texte parlé (poèmes, traduction de La Traviata, …)
Le projet laissant pourtant une place prépondérante au chant, les comédiens doivent être à la fois chanteurs lyriques et acteurs, ce qui exige théoriquement une excellente maîtrise de tous les arts de la scène, qui doit être protéiforme : les limites, bien normales, d’une telle exécution donnent à réfléchir à la quête parfois difficile de comédiens véritablement polyvalents dans la pratique contemporaine du théâtre influencée par les formes purement performatives.