Traviata – Vous méritez un avenir meilleur

Traviata – Vous méritez un avenir meilleur

Conception par Benjamin Lazar, Florent Hubert et Judith Chemla d’après Giuseppe Verdi / Mise en scène de Benjamin Lazar / Théâtre du Jorat / du 12 au 13 juin 2019 / Critiques par Noé Maggetti et Océane Forster.


De l’opéra au théâtre

13 juin 2019

© Pascal Geuly

Un spectacle inspiré du célèbre opéra de Verdi La Traviata [1853], initialement créé au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, est joué deux fois au Théâtre du Jorat, à Mézières. Au croisement du chant lyrique et du théâtre parlé, cette création portée par des comédien.ne.s et musicien.ne.s virtuoses séduit par un travail d’adaptation croisant les sources et les références, et par une scénographie s’appuyant sur des éléments simples mais efficaces.

À divers égards, ce spectacle peut être placé sous le signe de l’hybridation : entre opéra et théâtre parlé, tout d’abord, du fait que les passages avec un accompagnement musical sont mêlés à des répliques déclamées ; entre deux langues, ensuite, le français et l’italien, la première parlée, la seconde chantée sur les mélodies bien connues de Verdi, un croisement présent dès le titre du spectacle, qui fait s’entrechoquer le titre italien de l’opéra et une réplique en langue française prononcée par un personnage ; plus largement, enfin, entre l’œuvre du compositeur et le texte qu’il adapte, La Dame aux camélias [1848] d’Alexandre Dumas fils. Des rappels de l’origine romanesque du récit sont en effet présents, tant par le fait que les intertitres qui ménagent les transitions entre chacun des trois actes rappellent ce genre littéraire, que par l’abondance de scènes représentant les soirées débridées de courtisanes parisiennes et évoquant l’ambiance du récit de Dumas, ou encore via des mises en abyme, notamment lorsque le nom de l’auteur du livre apparaît ironiquement dans la bouche de l’une des protagonistes.

Au-delà de cette plaisante logique de l’entre-deux qui le caractérise, le spectacle impressionne par la virtuosité de ses interprètes. En effet, ses treize comédien.ne.s sont également chanteurs.euses ou musicien.ne.s : les instruments sont exhibés sur scène, et sont souvent intégrés à la diégèse, comme appartenant aux fêtes parisiennes qui constituent le cadre d’une bonne partie de l’intrigue. Ainsi, les instrumentistes appartiennent au récit en tant que personnages secondaires, et cohabitent sur scène avec le trio de protagonistes (les deux amants et le père du jeune homme) qui interprètent vocalement les airs du compositeur italien.

Instrumentistes et chanteurs.euses évoluent au sein d’une scénographie épurée et efficace, s’appuyant sur des éléments simples – une ambiance lumineuse contrastée, des costumes empruntés à différentes époques, une scène dépouillée parsemée de quelques accessoires utiles à la progression du récits, du miroir aux bouquets de fleurs – pour en tirer un maximum d’effets : quelque chose de fellinien se dégage de la scène d’ouverture, une nuit de débauche festive qui se déroule intégralement sous un voile blanc transparent, aura onirique sublimée par le son de la clarinette, du cor, de plusieurs instruments à cordes et d’un accordéon. Un contrejour très bien exploité ouvre le final, plongeant dans l’ombre au premier plan la protagoniste entourée de fleurs, et mettant en lumière les musiciens, à l’arrière plan. Le spectacle est ainsi structuré par des accessoires simples et des jeux de lumière habiles qui redoublent le tragique de cette histoire d’amour impossible.

13 juin 2019


Le drame aux camélias

13 juin 2019

© Pascal Geuly

Production du célèbre théâtre parisien des Bouffes du Nordla Traviata – Vous méritez un avenir meilleur, se déclare librement nourrie de toutes les variantes de l’histoire de Marie Duplessis, de Marguerite Gauthier dans la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils à Violetta Valéry dans La Traviata de Verdi. Benjamin Lazare offre une mise en scène qui se veut au carrefour du théâtre et de l’opéra, entremêlant sur scène huit musiciens et cinq chanteurs, tous comédiens. Une création frontale, concentrée à l’avant-scène, et libérée de la fosse d’orchestre. Faisant peu usage des coulisses, elle dresse un espace de jeu unifié sur lequel se succèdent toutes les voix, qu’elles soient de bois, de cuivre ou de chair.

La pièce s’ouvre sur une ambiance de fête techno sous influence, où hommes et femmes se cherchent et se fuient sous un large rideau de tulle blanche, déployé depuis le gril jusqu’à l’avant-scène. Déjà un jeu se met en place entre répliques en français, en italien, poésies déclamées, et badineries festives. Dans ce brouhaha obscur commence La Traviata. Abordé d’abord avec légèreté, le texte est parlé, en français, puis chanté, en italien, souvent ponctué de résumés en français censés dispenser le spectateur du traditionnel sur-titrage des opéras. Dans l’univers parisien du XIXe siècle, entre opiacés et courtisanes au destin tragique, la scénographie d’Adeline Caron décline un univers à la fois sombre et végétal, posant une atmosphère étrange vaporeuse et voluptueuse parfumée de relents acides et sulfureux. Par ailleurs, pour servir cette approche historicisante, s’immiscent dans la pièce des inserts tirés de l’actualité du milieu du XIXe, comme le récit d’une pose pour la réalisation d’un portrait au daguerréotype.

Malgré une volonté affirmée de proposer une adaptation hybride de l’opéra de Verdi, il semble persister ici une certaine insolubilité entre les pratiques de l’opéra et celles du théâtre : certaines scènes de Verdi sont gardées quasiment intactes, même si elles sont repensées pour une distribution musicale réduite, tandis que le jeu parlé prend des allures d’intermède. Une sorte d’attiédissement résulte de cette synergie manquant de radicalité. Pourtant la démarche, explorant les possibilités de jonction entre le chant lyrique et le théâtre parlé, profitant d’une certaine souplesse dans l’interprétation, se profilait pour être fort intéressante. Il est d’ailleurs possible d’entrevoir, à certains moments de la pièce, une combinaison réussie lorsque la musique est véritablement traitée comme une réplique ou dans les moments d’enchaînements sans transition entre chant et texte parlé (poèmes, traduction de La Traviata, …)

Le projet laissant pourtant une place prépondérante au chant, les comédiens doivent être à la fois chanteurs lyriques et acteurs, ce qui exige théoriquement une excellente maîtrise de tous les arts de la scène, qui doit être protéiforme : les limites, bien normales, d’une telle exécution donnent à réfléchir à la quête parfois difficile de comédiens véritablement polyvalents dans la pratique contemporaine du théâtre influencée par les formes purement performatives.

13 juin 2019


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