Les Séparables

Les Séparables

Texte de Fabrice Melquiot / Mise en scène de Dominique Catton et Christiane Suter / Théâtre du Passage / 13 mars 2019 / Critiques par Lena Rossel et Sacha Toupance. 


Cowboys, Sioux et makrouts

13 mars 2019

© Ariane Catton Balabeau

Deux enfants s’observent, se rencontrent et s’aiment, au milieu du tourment du racisme ordinaire de leur quartier résidentiel, de leur école, de leurs parents. Une fable forte et touchante, qui invite à réfléchir et à se reconnaître dans les paroles si justes de Fabrice Melquiot, portées par deux comédiens pétillants.

Romain a neuf ans. Ses parents s’aiment beaucoup, un peu trop. Il galope sur son cheval de bois à longueur de journée, à la recherche de contrées inexplorées. Sabah a neuf ans et demi, et sa mère cuisine des makrouts, pâtisseries algériennes, pour les parents de Romain. Sabah est une Sioux, et chasse les bisons depuis la fenêtre de son appartement, au quatrième étage. Pile en face de celui de Romain. Les parents de Romain sont un peu racistes, et c’est pour ça que la mère de Sabah leur offre des makrouts.

C’est l’histoire d’une indifférence, puis d’une amitié, et finalement d’un amour d’enfance ; de deux jeunes fougueux qui s’inventent des aventures à vivre ensemble. C’est l’histoire de deux enfants d’un quartier résidentiel banal, confrontés au racisme ordinaire de manière frontale : les parents de Romain jettent les pâtisseries de la mère de Sabah, les deux pères se battent, se blessent.

C’est l’histoire d’une séparation, de deux chemins de vie qui bifurquent brutalement. Au fil de l’histoire, les deux enfants grandissent, apprennent. La complexité de la question du racisme est mise en lumière : Sabah, insultée, insulte à son tour. Une question se cache derrière cet acte : une personne victime de racisme peut-elle être raciste ? La réponse semble être positive, et surtout que rien n’est jamais simple.

La pièce est accompagnée par un dispositif musical placé au centre de la scène, entre de larges panneaux de bois qui évoquent des toits. La musique est jouée en direct : violon amplifié tenu et joué comme une guitare, tourne-disque détourné, bruits oniriques… Les effets sonores produits par le musicien (Renaud Millet-Lacombe) font écho aux paroles et aux mouvements des deux comédien.ne.s (Antoine Courvoisier et Nasma Moutaouakil), et accompagnent magnifiquement la plongée dans l’univers de Fabrice Melquiot. Une fable aux relents de rêverie d’enfant : le texte évoque des animaux-symboles, croisés dans la forêt mystérieuse et dans le quartier.

Alliant un dispositif scénique simple mais suffisant et une gestion de plateau à même la scène (musique et lumière sont gérés par un technicien présent sur scène), Dominique Catton et Christiane Suter livrent un spectacle au souffle énergique, porté par la vivacité des deux comédien.ne.s. Ils livrent d’une voix fraîche le texte Fabrice Melquiot et le projettent loin, le font résonner. Deux échelles représentent deux immeubles ; le plateau, sorte de toit en pente, invite à jouer avec les hauteurs et à y courir dans tous les sens. Le plateau de jeu (scénique) se transforme en un plateau de jeu (d’enfants). C’est avec des mots simples mais directs que Fabrice Melquiot s’adresse au public, des mots que tout le monde peut comprendre, petit ou grand.

C’est l’histoire de deux vies plutôt ordinaires, qui évoluent et s’oublient. Mais la force de Romain et Sabah nous donne envie de croire qu’ils se retrouveront, et que là, enfin, débutera leur véritable histoire.

13 mars 2019


Petite humanité

13 mars 2019

© Ariane Catton Balabeau

Deux enfants plongent dans le passé pour se rappeler le temps de leur rencontre, les premiers instants de leur amour innocent. Dominique Catton et Christiane Suter explorent et propulsent dans la modernité la thématique emblématique des amants ennemis : des amants dont les familles s’opposent.

La poésie de Fabrice Melquiot possède cette irrégularité paradoxale qui insuffle aux deux protagonistes, au début âgés de neuf ans, une sagesse qui dépasse de loin celle de leur entourage, sans jamais pourtant s’éloigner de l’inconscience et de l’imaginaire de leur jeune âge. Ainsi le ton oscille-t-il, au fil de la pièce, entre une lourdeur politico-socio-culturelle et l’impesanteur de l’enfance.

« On regardait l’humanité, (…) on s’étonnait qu’elle n’ait pas grandi, après tout ce temps. »

L’histoire plaît et séduit le public neuchâtelois, en grande partie composé d’enfants accompagnés de leurs parents qui rient et se réjouissent de la scénographie enchanteresse et poétique. Une petite heure pour entendre un fragment de l’histoire de Sabah, jeune algérienne, et de Romain, dont les parents sont racistes.

L’ensemble du dispositif scénique, rendu transparent, se déploie devant les yeux des spectateurs pour permettre à la narration de filer. L’accessoiriste apparaît sur scène, transmet aux comédiens les nouveaux costumes qui seront des tremplins narratifs. Au centre de la scène, logé dans une étroite mansarde, le maître d’orchestre Renaud-Milet Lacombe s’agite, opère propositions et impératifs musicaux : car le duo amoureux ne cessera de se laisser guider par des sons, par des ambiances musicales vaporeuses, élégamment menées. Si cette transparence paraît agréable, c’est parce qu’elle offre à l’histoire la possibilité de couler avec une fluidité maîtrisée.

Une forêt, une rue de quartier, un appartement : le décor original, une toiture à deux sommets, est sans cesse réinvesti. Toutes les surfaces sont planes, les comédiens se laissent glisser, gravissent des échelles et s’en laissent tomber. Leurs mouvements sont volatiles, virevoltants. Les comédiens, dans leurs mouvements, flirtent parfois avec la danse. L’espace est semblable à une vaste place de jeu, le décor est un lieu-canevas au service des imaginaires narratifs.

Le procédé narratif lui aussi est découvert. Les deux enfants, s’ils paraissent parfois passifs face aux injonctions techniques, sont avant tout maîtres de leur histoire. Ils jonglent entre les types de narration, s’instituent narrateurs lorsqu’il ne s’agit pas de (re)jouer les scènes de leur rencontre, de leur histoire. Jeux de lumière, récurrence du thème musical, connivences entre les moments de narration et de jeu : tout contribue à retranscrire la nostalgie inévitablement ressentie par Romain et Sabah, des années plus tard. Par cette insistance sur le moment de leur rencontre, c’est le caractère insaisissable et instantané du moment présent qui est investigué.

Dominique Catton et Christiane Suter insufflent au texte de Fabrice Melquiot une musicalité et un travail de l’espace organiques, rêveurs, qui apparaîssent comme un séduisant hommage à la perspective interdisciplinaire du Théâtre Am Stram Gram.

13 mars 2019


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