… avec un U-Boot
Création de la compagnie You Should Meet My Cousins From Tchernobyl / Mise en scène de Christian Cordonier et Isumi Grichting / Petithéâtre de Sion / du 31 janvier au 10 février 2019 / Critiques par Lena Rossel et Ivan Garcia.
Un rêve oxygéné
10 février 2019
Par Lena Rossel
Au cœur de la vieille ville, le Petithéâtre de Sion nous ouvre ses portes chaleureuses et nous invite à plonger dans le monde onirique et mélancolique d’Isumi Grichting et Christian Cordonier. Leur création commune est un ovni de malice et de silence, qui invite à rêver et à se retrouver dans la vie de ces deux singuliers personnages.
Ludmilla et Josh voyagent dans un sous-marin depuis dix-huit jours. Ils ont une mission obscure à effectuer, dont on ne sait rien de plus sinon qu’elle concerne une cargaison qu’il faudra décharger avec un bras mécanique défectueux dans « la fosse ». Le décor est petit et étouffant, à l’image de leur lieu de vie : des grilles surélevées occupent un quart de la scène disponible, chargées d’objets électroniques désuets. Vieux claviers d’ordinateurs, vieux écrans, boutons de toutes sortes, tuyauterie et même une petite chaise d’école constituent le tableau, le tout agrémenté de lumière parfois bleue, parfois verte.
C’est baignés dans cette ambiance old school et un peu cheap que les deux personnages s’ouvrent au public. D’abord sous la forme de leur expertise en sous-marin, puis révélant des sentiments plus profonds : angoisse des profondeurs, nostalgie du monde au-dessus, questionnement sur leur rôle. « On est ceux qu’on ne voit pas et qui balancent les explosifs au moment où les héros ont un temps de répit et se font des petits bisous », dénonce Josh. Les deux personnages, pourtant très experts sur le fonctionnement de leur sous-marin, apparaissent peu à peu comme des enfants. De simples mimiques les font rire aux éclats, leurs questions naïves font douter de leur capacités à réellement pouvoir contrôler un tel engin (« C’est le même mec qui a écrit Narnia et Le Seigneur des Anneaux ? ») – et pourtant, sous ces tribulations à l’apparence joyeuse se dissimulent une inquiétude et un mal-être profonds : la peur d’échouer et de rester coincés dans les profondeurs marines à jamais.
Les longs silences qui parsèment la pièce sont agrémentés d’une utilisation totale de l’espace et des objets. La parole est économisée, tout comme l’oxygène. En lieu et place de discours, on observe les visages des comédiens, qui tantôt sourient, tantôt se renferment, et la manipulation des bibelots devient un spectacle à part entière, fascinant de simplicité. Chaque petit geste est noté, significatif. L’ennui et le silence, personnages à part entière, s’invitent aux côtés des deux comédiens afin de faire ressortir plus fort encore leur sentiment de solitude et d’abandon. C’est dans une ambiance onirique, relevée par les lumières colorées et la légère fumée qui nimbe l’espace, que Josh et Ludmilla s’enfoncent vers une fin incertaine.
Seul objet salvateur à bord, des lunettes de réalité virtuelle, auxquelles les deux personnages s’abandonnent. C’est après s’être shootés aux guirlandes lumineuses et perdus dans la contemplation d’une fausse réalité qu’ils décident de remonter voir le soleil, avant d’entamer leur ultime descente dans la fosse.
La compagnie You Should Meet My Cousins From Tchernobyl nous offre ainsi une plongée dans la vie de deux êtres atypiques, qui se nourrissent de popcorns et de guimauves, ont des berlingots de thé froid accordés à la tenue de l’autre, et sont touchants de par leur différence et leur ressemblance. C’est avec une pointe de nostalgie et une envie de rêve que l’on ressort du spectacle, légèrement bouleversés par ces vies solitaires et émouvantes.
10 février 2019
Par Lena Rossel
Dans l’eau, tout est calme
10 février 2019
Par Ivan Garcia
Au Petit Théâtre de Sion, l’ambiance aquatique d’Avec un U-Boot entraîne le public dans un spectacle au sein duquel deux êtres discutent de tout et de rien. Sous la surface, des liens se créent et des souvenirs émergent.
L’immersion dans la représentation commence dès que le seuil du théâtre est franchi. Le Petit Théâtre de Sion organise ses soirées en fonction des thèmes des représentations. Ce soir-là, toute l’équipe est déguisée en marins, en nageurs, et autres avatars aquatiques. Durant la saison, la première partie des soirées est constituée par une forme brève toujours en rapport avec la thématique du spectacle présenté. A cette occasion, il s’agit de la performance d’un chanteur ; celui-ci arbore un long manteau de fourrure et des lunettes de soleil. Il grimpe sur une scène improvisée et chante une composition de son crû «Hiroshima, Tchernobyl, n’appuie pas sur le bouton» – référence directe au nom de la compagnie qui présente le spectacle, You Should Meet My Cousins From Tchernobyl. Suite à cela, la maîtresse de soirée, un tuba dans la bouche, invite les spectateurs à descendre dans la salle.
Dans la cave du théâtre, le décor est posé. Au coin, une petite scène, en forme de cube, situe l’action dans un sous-marin. Instruments de mesure, tabourets, périscope et ordinateurs sont installés. Au centre de ce cube, deux personnes se tiennent debout. Une femme, en combinaison orange, et un homme, en combinaison bleue, débutent une procédure d’immersion. Ludmila et Josh sont en mission. Dans leur sous-marin, ils voyagent avec un objectif peu clair… Parfois, ils reçoivent des messages et des cartes postales de la surface. Lorsqu’ils prononcent ce mot, «la surface», une nostalgie s’empare d’eux. Leur idéal serait de remonter sur terre, de retrouver leurs familles, et de passer à nouveau du temps au soleil. Or, dans ce sous-marin, sorte de contre-enfer sartrien, ils sont bloqués et parlent peu. La musique, plutôt discrète, tient pourtant une place importante dans cette création parce qu’elle permet de glisser entre les différents plans de la représentation, celui de la diégèse et celui, encadrant, de la musique de scène. Ludmila, notamment, apprécie beaucoup cette musique qui, d’une certaine manière, permet de franchir le quatrième mur. Souvent, elle porte ses écouteurs sur les oreilles pour entendre de la musique électronique, largement audible par les spectateurs, et, à un certain moment, un rock russe retentit dans le sous-marin. La musique sert de lien entre ces exilés et le monde extérieur. Il en sera beaucoup question, de liens. Pourtant, entre eux, les comédiens n’interagissent pas beaucoup. Ludmila est la capitaine du sous-marin et Josh, son employé. Ils entretiennent un rapport fluctuant, parfois vertical, parfois horizontal, mais semblent pourtant proches. Lors d’une lecture de cartes postales et messages, Josh se délecte d’une amie qui lui transmet son souhait de «manger un kebab» en sa compagnie ; chacun des protagonistes se recrée un monde, à l’intérieur du sous-marin, à travers ces objets qui les lient à l’extérieur. Cet extérieur qui, lui, est idéalisé et intangible. La représentation maintient le public dans le flou. On ne sait pas vraiment, sauf un bref instant, l’heure qu’il est, où est le sous-marin, ni l’objectif réel des personnages… Le public doit faire appel à son imagination, afin de créer des liens et du sens, entre les événements montrés.
Alternant entre différents dispositifs narratifs (dialogues, vidéo, musique,…), Avec un U-Boot est la première création d’Isumi Grichting, ancienne élève de la Manufacture, et de Christian Cordonnier, en collaboration avec Julie Bugnard, également une ancienne élève de la Manufacture. En entraînant les spectateurs dans une atmosphère calme avec peu d’informations narratives, les jeunes comédiens circulent entre différents niveaux diégétiques, en interrogeant nos manières de combler les non-dits.
10 février 2019
Par Ivan Garcia