Par Amina Gudzevic
Une critique sur le spectacle :
Girl from the Fog Machine Factory / Création et mise en scène de Thom Luz (Thom Luz – Bernetta Theaterproduktionen) / Théâtre de Vidy / du 16 au 19 janvier 2019 / Plus d’infos
Quel avenir pour les vendeurs de rêve dans un monde qui prône l’hédonisme matérialiste ? Dans Girl from the Fog Machine Factory, les comédiens, tels des prestidigitateurs, proposent de nouvelles manières d’utiliser des machines à fumée. Cette expérimentation offre une dimension magique à cet élément qui se trouve être l’objet central du spectacle. Tels des poussières interstellaires prêtes à former l’objet céleste, les « nuages » de Thom Luz dansent dans un imaginaire avec pour seule constante le fait d’être éphémères.
Girl from the Fog Machine Factory appartient à cette catégorie de théâtre où notre âme d’enfant se confronte à des questions existentielles : le spectateur navigue entre l’émerveillement pour le procédé et la compassion pour la lutte acharnée des personnages à survivre dans leur art. Thom Luz, musicien et metteur en scène zurichois, nous ouvre les portes de son laboratoire, dans une forme de théâtre que la critique qualifie de «contemplatif et musical ». Cinq comédien y évoluent, en quête d’idées pour stimuler les ventes de leur usine de brouillard, et nous plongent dans un univers merveilleux, à la fois excitant et troublant. Il est difficile d’attribuer de manière précise des rôles à chacun des comédiens, ou musiciens, car eux-mêmes sont en perpétuelle transformation, la dynamique du spectacle requérant constamment leur présence d’une manière ou d’une autre. Ils sont tous, en permanence, sollicités, et manifestent indéniablement une cohésion d’équipe qui se ressent dans les perfomances collectives. Trois performeurs et deux musiciens évoluent dans la petite usine de brouillard. Il n’y a plus d’argent. Pour survivre, ils doivent trouver le moyen d’innover : plus grand, plus haut, plus spectaculaire. C’est au cœur-même de ces expérimentations que le public de Vidy se retrouve, littéralement, plongé. L’ensemble des machines à brouillard est sollicité, soit de manière individuelle soit simultanément, afin de trouver une solution. De longs tubes d’aluminium font transiter le brouillard, lui donnent une forme ou l’enferment de manière temporaire. Des échelles et des ventilateurs sont également utilisés afin d’expérimenter les différentes hauteurs ou trajectoires possibles. Ce brouillard reste cependant mystérieux, à la fois dompté et indomptable. Il s’intensifie sous les notes du violoncelle, du violon ou du clavecin : la musique est tout aussi primordiale que la parole et les silences. En effet, les personnages dialoguent peu mais interagissent énormément. Tout est constamment en mouvement : les nuages, la musique et les personnages. Même lorsqu’un nuage engloutit la moitié de la salle, on sent que le plateau continue de vibrer sous les pas des comédiens.
Ce spectacle ne connaît pas de frontières : on y parle anglais, français ou allemand. On chante autant que l’on parle. Un surtitrage est projeté à un endroit qui, lorsque passe le brouillard, disparaît. Cela produit l’impression que, par moment, la notion elle-même de langage disparaît. Sans langage, il n’y a plus de civilisation : cela laisse penser que l’on ne se trouve pas sur terre mais quelque part dans une strate obscure entre la terre et le cosmos. Peut-être ne sont-ils pas des êtres humains, peut-être sont-ils des dieux ou des âmes égarées.
Cette course effrénée des personnages contre le rien, le volatile, l’éphémère vaut-elle réellement la peine pour eux ? C’est la question que l’on est amenés à se poser car, à part le divertissement, cette entreprise n’aboutit à rien, du moins en apparence. Car lorsque les nuages se sont dissipés, reste le sentiment que, ensemble, peut-être, tout est possible.