Par Maxime Hoffmann
Une critique sur le spectacle :
Songe d’une nuit d’été / D’après William Shakespeare / Mise en scène de Joan Mompart / La Grange de Dorigny / du 27 octobre au 3 novembre 2018 / Plus d’infos
Joan Mompart s’est approprié le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare dans une mise en scène poétique et onirique, qui modifie en partie l’histoire originale. C’est bien autour du mot « songe » que se construit cette rêverie théâtrale. Grâce à un décor qui se développe avec lenteur, Mompart et ses comédiens font entrer avec facilité les spectateurs dans un monde rendu complexe et parfois même absurde, avant de les laisser s’éveiller.
Ce soir-là, au centre de la Grange de Dorigny, des gens dansent. Ce n’est que le « foyer » et pourtant, une petite troupe enflammée se déhanche au son d’une musique rythmée. Au milieu de mouvements effrénés, un couple s’embrasse amoureusement. On annonce un mariage. Et, sans livrer plus d’informations, tous se ruent au galop à l’étage supérieur, là où se trouve la scène. Une fois montés derrière eux, les spectateurs sont placés, avec soin, par deux membres de cette troupe tournant le dos à un grand voile blanc et opaque en avant-scène. Les sièges sont attribués avec légèreté, chaque geste s’accompagne d’un rire. Puis les spectateurs accordent de plus en plus d’attention aux dires qui s’élèvent peu à peu de la scène, on y entend : « O What a pleasant surprise. I set my trap for a peasant and I catch a prince! ». La phrase cajole l’envie des spectateurs venus voir une pièce du grand dramaturge anglais, et l’un des membres de la troupe demande : « est-ce Shakespeare ou Walt Disney ? ». Les attentes sont rompues, des rires résonnent. On conseille au public d’abandonner les idées préconçues et on le prie de pardonner. Certes, mais qu’est-ce qui devrait être excusé ? À quoi jouent-ils ?
Justement, ils jouent : voilà dix minutes que la pièce a commencé. Le Songe de cette pluvieuse nuit d’automne s’octroie une licence scénaristique. La scène d’exposition a été remplacée par les réjouissances du foyer et, pour ne pas nous faire perdre le fil, l’intrigue est contée par un comédien seul sur scène. S’adressant directement au public, il l’introduit dans un univers shakespearien délibérément évanescent. Le cadre de la représentation devient flou. Lentement, tout sombre dans un songe, on se laisse rêver derrière notre guide. L’impénétrable rideau qui préservait le plateau des regards indiscrets laisse entrevoir quelques points brillants, des ampoules faisant office d’étoiles. Peu après, il se change, grâce à une lumière projetée depuis l’arrière-scène, en un filtre au travers duquel transparaît l’ombre d’un monticule de terre. Et, finalement, ce mur qui sépare les spectateurs des comédiens s’ouvre et se détache en deux pans, bordant la scène. L’entrée dans le rêve est douce et le spectacle mime l’arrivée du sommeil. La terre entassée au centre ancre l’action en pleine forêt. Pendant la représentation, les comédiens la travaillent incessamment, diffusant de sylvestres senteurs dans la Grange. L’odorat s’éveille et participe, lui aussi, de la force d’immersion de cette mise en scène. Une musique vaporeuse enveloppe les intrigues d’un certain mystère. Ces sonorités sont une orchestration de Laurent Bruttin incarnée durant la pièce par une clarinette, un saxophone ou une cithare, tous électroniquement modifiés. La mise en scène accentue par là aussi la part de poésie et d’onirisme propre aux songes.
Une fois les spectateurs entrés dans le rêve, ils s’avisent que le conteur n’est autre que le lutin Puck, interprété par Philippe Gouin, dont l’énergie semble soutenir une part importante de la féérie. Plein d’humour, il crée le lien entre le réel des spectateurs et la fiction de l’action : la mise en scène le présente comme le trouble-fête. En effet, l’intrigue, simplifiée puisqu’une partie de la pièce originale n’est pas jouée, se complique par suite de sa malice. Les sentiments amoureux s’altèrent, puis se résolvent, suite à une erreur de sa part. Des fils d’intrigue s’entremêlent et font habilement douter de la logique de l’intrigue, comme si celle-ci mimait le sommeil et l’incohérence du rêve. Le travail poétique va chercher le spectateur dans son réel et l’emmène tranquillement jusqu’à un rêve.