Entretien avec Mali Van Valenberg

Par Basile Seppey

Un entretien autour de la pièce Baromètre / De Mali Van Valenberg / Le 24 novembre 2017 / Plus d’infos

Mali Van Valenberg


C’est à Sion, le 24 novembre, que nous avons recontré Mali Van Valenberg.

Basile Seppey, pour l’Atelier critique (BS) : En guise d’introduction, est-ce que tu pourrais revenir un peu sur tes débuts au théâtre et ta formation ?

Mali Van Valenberg (MVV) : J’ai commencé assez tard, vers vingt ans. Au début, je faisais de la musique, de la percussion. Je suis entrée à la HEM à Genève mais le Conservatoire ne me convenait pas, j’étais coupée de mes instincts. Je crois que j’abordais la musique de manière trop théorique et extérieure. Et puis je n’étais pas suffisamment passionnée ni douée pour faire face à la pression et la concurrence du Conservatoire. A la solitude aussi.  En fait, j’ai besoin de travailler à plusieurs, de me confronter aux énergies des autres, pour que ça circule. Parallèlement à mes études musicales, j’ai commencé le théâtre en classe préprofessionnelle à Genève. De toute évidence, j’y respirais mieux et je trouvais là quelque chose qui me manquait en musique. J’ai alors quitté le Conservatoire pour suivre une formation de comédienne à Paris. D’abord au Studio puis au CFA d’Asnières. Le CFA est une formation en alternance : on y joue pour des compagnies professionnelles, tout en suivant par période des stages avec différents intervenants. Cela permet d’être sur le terrain tout en étant encore dans le cadre d’une école. On peut également se faire une expérience à travers des stages dans plusieurs corps de métier liés à la scène : assistanat, lumière, son, costumes, pédagogie… Quand on s’occupe de sa compagnie, on est souvent amené à gérer plusieurs choses en même temps : la mise en scène, le jeu, mais aussi l’administration, parfois la régie, la direction technique… Et le CFA d’Asnières a été très formateur dans ce sens.

BS : Et comment s’est fait le retour en Suisse ?

MVV : Je suis restée à Paris quelques années pour jouer car certains spectacles sur lesquels j’avais été engagée comme apprentie tournaient en France.  Et puis j’ai passé un casting pour un long métrage que j’ai tourné en Suisse : Ma nouvelle Héloïse, de Francis Reusser. Quelques mois plus tard, François Marin m’a distribuée dans son spectacle 2H14, de David Paquet. Par la suite j’ai eu d’autres propositions ici, donc mon retour en Suisse s’est fait de manière assez naturelle.

BS : Et maintenant ?

MVV : Il y a trois ans, j’ai monté une compagnie théâtrale en Valais : Jusqu’à m’y fondre.  Nous avons créé trois spectacles : Le vieux juif blonde d’Amanda Sthers, Showroom de Suzanne Joubert et Semelle au vent. Nous préparons également le spectacle d’été en plein air de la ville de Sion et un Midi Théâtre pour la saison prochaine. Parallèlement, je continue de jouer pour d’autres metteurs en scène et me nourris d’autres univers. C’est une chance inouïe de pouvoir à la fois suivre ses propres envies et porter celles des autres.

BS : Être comédienne et auteure : comment est-ce que tu vois ces deux pratiques ?  Semelle au vent était ton adaptation d’un conte d’Andersen et tu jouais aussi dans la pièce. Comment est-ce que tu concilies les deux gestes ?

MVV : Je suis avant tout comédienne. L’écriture, j’y suis venue par hasard. J’avais écrit une première pièce courte dans le cadre d’un concours inter-Conservatoires à Paris qui avait été sélectionnée et jouée au théâtre du Rond-Point. Semelle au vent est ma première pièce éditée (Lansman Editeur). J’avais envie de créer un spectacle tout public, dans lequel différentes générations peuvent trouver à rêver ensemble. C’est là que je me suis lancée dans une très libre adaptation du Compagnon de route d’Andersen. J’ai confié la mise en scène du spectacle à Olivier Werner. Nous avons commencé par une première session de répétitions en juin, au cours de laquelle j’ai entendu mon texte joué par d’autres comédiens pour la première fois. Une première semaine de chantier qui m’a permis de prendre du recul par rapport à mon texte et de l’affiner. A ce moment-là, je ne pouvais pas encore quitter ma casquette d’auteure pour me plonger dans le jeu car quelque chose n’était pas encore abouti sur le plan de l’écriture. J’ai retravaillé la pièce durant l’été. Et puis nous avons repris les répétitions fin août avec la dernière version du texte, celle qui allait être publiée. C’est là seulement que j’ai pu me concentrer sur le jeu. Aujourd’hui je suis comédienne sur le projet, comme si l’écriture de la pièce ne m’appartenait plus. Elle est désormais une matière à jouer pour tous.

BS : Pourrais-tu revenir un peu sur le projet Baromètre, que tu as aussi écrit et joué, sur ce qui t’as interéssée dans cette matière-là ?

MVV : J’ai participé à un spectacle déambulatoire dans les jardins de l’hôpital psychiatrique de Malévoz à Monthey, comme comédienne. Nous étions cinq interprètes et chacun devait prendre en charge une station de dix minutes, à laquelle s’arrêtaient des groupes de spectateurs. A Malévoz se trouve un centre culturel qui dispose d’un théâtre, de salles d’expositions et de logements pour les artistes en résidence. On y côtoie des patients, des visiteurs, des médecins, des artistes, parfois même des connaissances qui se retrouvent hospitalisées… Il y a quelque chose de troublant dans ce mélange, la frontière est ténue entre les patients et les gens de l’extérieur. A chaque rencontre, on cherche sans le vouloir à identifier à qui l’on s’adresse. Le lieu même de l’hôpital conditionne le regard à notre insu et déplace inévitablement les rapports. En écrivant Baromètre, c’est sur cette frontière-là que je voulais travailler. Si demain je suis hospitalisée, qu’est-ce qui se déplace dans le regard de l’autre, et déjà dans le mien ?

BS : Dans cette petite forme, il y a une sorte de prépondérance de la parole. Les actions, les déplacements ne sont pas de l’ordre de la didascalie mais plutôt du discours. La première didascalie décrit l’espace et la tenue vestimentaire. Sinon tout le reste est assumé par la parole…

MVV : Oui, tout est verbalisé. Dans Baromètre, celle qui prend la parole met des mots sur tout ce qui lui passe par la tête. Elle dit tout haut ce qu’elle observe, ce qu’elle fait, ce qu’elle pense que les autres pensent de ce qu’elle dit… Sa parole engendre d’autres paroles et alimente son inquiétude.
C’est ce qui arrive parfois, ce besoin que l’on a de formuler pour se rassurer, se mettre en ordre alors que paradoxalement c’est le contraire qui se produit. Il y a quelque chose de vertigineux dans le fait de vouloir tout verbaliser.
Dans Baromètre, celle qui parle est seule parmi les autres. Il est difficile de savoir quand elle se parle à elle-même et quand elle s’adresse aux autres réellement. Comme il est difficile de savoir quelle est sa part de projection dans le regard des autres.
Après, ce texte a aussi été conçu dans un contexte particulier, pour un moment de théâtre où j’allais être seule et sans technique, le seul espace que j’avais à disposition étant ce jardin de l’hôpital où je devais jouer.

BS : Ce langage, dans ton texte, s’engendre de manière très fluide et naturelle, avec des glissements de sens d’une phrase à l’autre, par rapport à un mot qui revient. Il y a une sorte de jeu avec la langue.

MVV : J’ai un rapport assez musical à l’écriture. Généralement j’écris à voix haute, j’ai besoin d’entendre la partition. Dans Baromètre, la répétition et la déclinaison des motifs induisent un rythme et donnent corps à une pensée en mouvement.
C’est un rapport à l’écriture presque physique et acoustique, je dirais. Je valide par les mots une cadence que j’entends et qui me convient, de manière organique. Peut-être que cela a à voir avec mon travail de comédienne.

BS : Comment la représentation de cette petite forme s’est-elle déroulée concrètement ? Si j’ai bien compris, le public était composé de patients et de visiteurs ?

MVV : La déambulation était ouverte à tous : patients, soignants ou visiteurs. On jouait environ cinq fois d’affilée, pour de petits groupes de spectateurs qui passaient de station en station. J’avais choisi de m’installer à une table de pique-nique qui se trouvait dans le parc et j’accueillais les spectateurs à ma table, dans un rapport très direct. Quand on se retrouve à parler à des gens dans une telle promiscuité, sans la protection des codes du théâtre, cela engendre une vraie porosité entre les personnes qui t’écoutent et toi-même. Il m’est rarement arrivé de pouvoir dire mon texte tel que je l’avais écrit, car il suscitait en direct des réactions que je souhaitais prendre en compte. Ceux à qui je m’adressais prenaient parfois la parole, prenant au vol les interrogations du personnage.
L’ambiguïté du lieu de l’hôpital comme espace de représentation et l’ambiguïté de cette prise de parole ont provoqué des réactions assez diverses, parfois de la gêne, des rires, souvent de l’empathie…

BS : Les frontières entre spectateurs et comédiens étaient donc assez poreuses. Quel rapport as-tu, toi, avec les spectateurs en général ?

MVV : Moi j’aime bien que cette frontière entre le comédien et le spectateur soit perméable. J’aime me laisser atteindre par ce qui peut venir de la salle. On parle rarement de l’énergie transmise par les spectateurs, mais elle est essentielle pour le comédien quand il joue. Evidemment ça peut être à double tranchant, car les réactions du public ne sont pas toujours porteuses. Mais se laisser atteindre par l’énergie des autres, quelle qu’elle soit, est pour moi très important. A la base de toutes représentations, il y a cet échange intime, entre humains. Fouiller l’humain et ses décalages : j’aime faire ce métier comme ça. Faire résonner les failles chez les gens.

BS : Tu viens de recevoir le prix d’encouragement culturel du Valais. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?

MVV : Pour moi c’était un prix étonnant, inattendu. Pourquoi moi ? On n’est jamais seul à mener quelque chose dans ce métier, alors ce prix d’encouragement je le partage volontiers avec ceux qui m’entourent dans le travail.

BS : Mais cela t’encourage ? te fait plaisir ?

MVV : Ce qui est important pour moi, c’est ce suivi de l’Etat du Valais. Ils sont attentifs à l’évolution du travail de leurs artistes, de leur parcours. C’est un soutien précieux et porteur, qui n’est pas que financier.

BS : Toi qui as eu l’occasion de jouer dans beaucoup d’endroits, que penses-tu de la scène théâtrale romande et valaisanne ? Comment vis-tu le fait de jouer en Valais et en Suisse romande ?

MVV : J’ai fondé ma compagnie en Valais, parce que je viens d’ici. Je suis arrivée avec mon projet au Petithéâtre de Sion,  Michaël Abbet m’a donné ma chance en s’engageant à produire mon premier spectacle. Il a été également soutenu financièrement, notamment par l’Etat du Valais et la ville de Sierre, ce qui est une aubaine pour une première création.
Quant aux différences entre le fait de jouer en Valais ou ailleurs, je n’en vois pas vraiment. J’ai peut-être l’impression qu’en Valais, les spectateurs n’ont pas vraiment d’a priori sur ce qu’ils vont voir, ils restent assez ouverts à tous types de propositions, sans se retrancher derrière de prétendues références. Je les sens curieux. En tout cas ceux qui se déplacent pour nous voir !

BS : Et quel intérêt vois-tu au théâtre en général ?

MVV : Le théâtre est un des derniers lieux où les gens se rassemblent pour ressentir des émotions ensemble. Un lieu très utopique, donc, qui repose sur le collectif. C’est ce qui fait sa force et sa beauté. Pour moi c’est déjà d’une importance folle, de pouvoir se regrouper, se rassembler.