Where Do You Wanna Go Today ?

Where Do You Wanna Go Today ?

De et avec PRICE (Mathias Ringgenberg) / L’Arsenic / du 7 au 12 novembre 2017 /  Critiques par Julia Cela et Laure Salathé. 


Hot mess

12 novembre 2017

Par Julia Cela

© Senta Simond, Jenna Carlderari

PRICE, le personnage inventé par Mathias Ringgenberg, est le parfait androgyne. Dans la troisième variation du projet Where Do You Wanna Go Today ? on le voit explorer par la voix et le mouvement des identités, qui renvoient toutes à l’archétype de l’icône pop.

De longs doigts effilés surgissent du carré d’étoffe rose. La silhouette, jusqu’alors allongée, se redresse brusquement et lance un regard au public tout autour, yeux mi-clos, une petite moue sur les lèvres. Dans cette pose, on reconnaît la diva. Tout la clame, de la posture au vernis discret qui recouvre les ongles soignés. Dans l’attitude, on reconnaît quelque chose comme de la fatigue, ou une petite gueule de bois. L’impression se confirme lorsqu’on voit le curieux personnage déambuler dans l’espace déstructuré de la salle sans siège, nonchalant, presque alangui.

Les vêtements, éparpillés, suspendus ou accrochés dans la pièce clament l’intimité. Ils côtoient des cadres en bois qui évoquent la structure d’une toile peinte. Le lieu intime, la chambre à coucher désignée par les vêtements, se superpose ainsi au lieu public, le musée, signifié par les structures de bois et par les textes, puisque le personnage, à plusieurs reprises, évoque sa pratique des arts plastiques. L’absence de sièges pour asseoir le public appuie cette dualité. On est debout sans être sûrs de savoir pourquoi. Il pourrait autant s’agir de suivre la célébrité dans son salon, en voyeur, au lendemain d’une soirée bien arrosée, que de suivre l’œuvre d’art vivante ou le guide évoluer dans le musée, parmi les oeuvres.

Vocalises

L’expérience est à l’image de l’espace : éclatée et désordonnée, sans cohérence narrative. Un élément, cependant, nous permet de suivre le parcours de PRICE : le chant. La performance est, en effet, traversée et dirigée par des temps musicaux, où le personnage chante a cappella.  Une impressionnante performance vocale, en laquelle on reconnaît l’essence de la musique pop. On identifie des caractéristiques que l’on retrouverait dans presque n’importe quel Top 50 depuis les années 2000. La gestuelle et les vocalises rappellent les concerts des stars contemporaines, véritable démonstration de féminité outrée, glaçante et charmante à la fois, portée ici par un corps masculin.

Dans Where Do You Wanna Go Today ? tout est trouble. L’espace pourrait être aussi bien une chambre à coucher qu’une galerie. PRICE pourrait être une femme. Il pourrait aussi être un homme. Les textes posent la question de la mort ; les chants, celle de l’amour. Il y a des robes, des chaussures à talons, des chemises, des sweatshirts. Culture d’élite, culture pop : quelque part entre l’élitaire et le populaire vit la diva qui sait porter les deux discours à la fois.

12 novembre 2017

Par Julia Cela


Where do I wanna go ?

12 novembre 2017

© Senta Simond, Jenna Carlderari

Adapté à chacun des lieux dans lequel il est joué, Where do you wanna go today se donne au Théâtre de l’Arsenic, à Lausanne, dans sa troisième variation. Mathias Ringgenberg y rend sensible l’évolution d’un personnage au sein de lui-même, la recherche de son identité et de ses émotions. Un spectacle qui exploite la posture de l’authenticité, avec beaucoup d’humour.

C’est dans l’intimité d’un personnage que sont plongés les spectateurs tout au long de cette performance théâtrale et musicale. PRICE (c’est son nom) se comporte comme s’il était seul, vivant sous nos yeux une expérience visiblement très personnelle, quelque chose de pur et de brutal à la fois. Le public observe, et ressent presque une certaine gêne à pénétrer ainsi dans l’espace d’un individu dont on oublie vite qu’il est construit. L’expérience provoque beaucoup d’émotions, mais ce qu’elle cherche à véhiculer reste difficile à déchiffrer.

La sensation de voyeurisme surgit dès le début, lorsque PRICE s’extirpe d’un sommeil visiblement brumeux, et vaque à ses occupations, comme un enfant seul chez lui qui cherche à combler l’ennui. Il parle, chante, se déplace ; on l’observe, comme à travers une fenêtre – et, parfois, bel et bien à travers sa fenêtre. L’intimité se donne d’abord avec le corps surpris en mouvement, qui est aussi le sujet du monologue. Le personnage se déplace à sa manière, expérimente la marche avec ses membres. Son jeu corporel est presque animal. L’intimité de PRICE, c’est aussi l’amour, qui apparaît surtout dans les moments chantés. Sans rien connaître du personnage, nous recevons ses confidences très personnelles sur les déboires de sa vie amoureuse. Le spectacle se présente, d’une façon générale, sur le mode de la confidence, d’un secret auquel nous avons accès, et qui montre aussi les confins du corps et de l’esprit humains.

Il montre aussi l’expérience intense de quelqu’un qui se cherche. L’évolution dans l’espace est liée à une évolution corporelle et mentale. PRICE essaye différents vêtements, et montre à chaque fois une facette différente de lui-même. Revêtu d’un pantalon rose, il est peintre incompris ; enfilant ce qui ressemble à un rideau de théâtre, il se montre dramatique, il en rajoute… Il fait passer les émotions à travers son corps aussi bien qu’à travers ses discours et ses chansons : l’une d’entre elles a donné son nom au spectacle. L’adresse également évolue, au fur et à mesure que le personnage semble se rendre compte d’une présence voyeuriste. Il interroge, accuse, partage. Le public se sent progressivement accepté, accueilli dans cette intimité.

Art abstrait : la notion est thématisée lors d’un monologue. Elle pourrait décrire le spectacle en lui-même. Entre les mouvements du comédien, les prises de parole énigmatiques et les sons, la représentation laisse incontestablement place à l’interprétation du spectateur. Peut-être même un peu trop : si les sentiments de PRICE sont clairement exprimés, les causes de ces sentiments ainsi que les sujets de ses monologues demeurent ambigus, ce qui laisse une impression de flottement, de manque d’informations. Reste un mélange de douceur et de brutalité qui frappe, des formules poétiques suivies de coups sonores inattendus, une ambiance qui fait réfléchir.

12 novembre 2017


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