Par Valmir Rexhepi
Une critique sur le spectacle:
Donkeyport / Par la Cie S/Z / Mise en scène de Sabine Zaalene / Petithéâtre de Sion / du 9 au 19 novembre 2017 / Plus d’infos
Comme cela n’est pas rare dans les spectacles contemporains, Donkeyport se situe entre plusieurs arts de la scène : théâtre, performance, projections vidéo, musique sur plateau. Une palette qui, ici, est au service d’un discours sur l’identité et l’altérité, sur la base des textes d’Apulée et de Perrault (L’âne d’or et Peau d’âne). On avance à travers les mots, les mouvements et les musiques à la recherche de ce qui fonde le soi et l’autre.
Sabine Zaalene s’appuie pour ce projet au titre énigmatique – un mot valise qui réunit, en anglais, « âne » et « port » de airport (les entrées pour le spectacle sont d’ailleurs des cartes d’embarquement) – sur des œuvres ayant pour thème l’équidé aux longues oreilles : L’âne d’or d’Apulée et Peau d’âne, le conte de Perrault. Cela sert d’ancrage référentiel plus ou moins explicite pour les spectateurs. Pour autant, il ne s’agit pas de porter à la scène l’un ou l’autre, mais plutôt d’y trouver les ressorts d’un questionnement sur l’identité, l’altérité, un rapport à soi et au monde.
En ce sens, l’espace scénique fonctionne comme une sorte de camera oscura, augmentée par l’apport d’une guitare électrique aux sons rageurs. Défilent devant nos yeux, sur le fond noir de la scène, des vidéos d’ânes menés par la longe, la captation d’une femme nue dans un bois, dans une posture de protestation. Cette alternance entre animalité et nudité avec, en creux, la question de l’identité, s’incarne dans le même temps, face à nous, dans une lumière maigre, chez deux personnages qui nous parlent du conte de Perrault, du texte d’Apulée, et en tirent, sans pour autant forcer, la figure de l’âne comme métaphore d’un geste initiatique à la découverte de soi et de l’autre.
Porter la peau de l’âne ou se transformer en celui-ci sont des gestes qui se donnent par indices. L’animal, sa peau ou son corps, sont représentés par autant de vestes et de manteaux qui se portent et s’enlèvent, se retournent. En même temps les corps, dans la performance, s’habillent l’un de l’autre et se confondent dans des entrelacements où apparaît alors un être à quatre bras et autant de jambes, comme une métamorphose. Qui se vêt de qui ? Qui est la peau d’âne de qui ? Les reprises, çà et là, des textes d’Apulée et de Perrault, ou les réflexions qui en découlent dans les bouches des comédiens, sont répétées jusqu’à l’usure, comme une performance de la parole qui laisse poindre, là aussi, une métamorphose des mots. Métamorphose sonore, avec l’amplification de ces mots par le microphone, leur enregistrement puis leur diffusion en boucle ; puis avec la distorsion qui les rapproche de borborygmes, presque des sons produits par des bêtes. Comme si notre langage ne nous différenciait de l’animal, cet autre par excellence, que par degrés.
Voici que tout s’éteint, les plaintes électriques de la guitare, les images dans le fond, les lumières, les corps. On attend avant d’applaudir, l’écran s’allume de nouveau. On y voit les images des personnes qui tout à l’heure menaient les ânes : ils nous y saluent théâtralement. On a l’étrange sentiment d’être ailleurs que dans un théâtre, à cause de cet écran qui est devenu comme une fenêtre, un hublot disproportionné. On s’interroge alors sur la cloison fictionnelle qui vient d’être franchie.