Quitter la terre

Quitter la terre

Par la compagnie SNAUT / Texte et mise en scène Joël Maillard / Arsenic / Du 6 au 11 juin 2017 / Critiques par Marek Chojecki et Josefa Terribilini. 


Guide pour sauver la Terre

10 juin 2017

© Jeanne Quattropani

Comment sauver la Terre ? Une question brûlante dans le contexte actuel, à laquelle s’attaquent Joël Maillard et Joëlle Fontannaz. Explorant une solution controversée dans laquelle une partie de l’humanité doit Quitter la Terre, la compagnie SNAUT, dont le nom est un hommage à un personnage du roman Solaris écrit en 1961 par Stanislas Lem, relève le défi de faire de la science-fiction au théâtre.

Le spectacle prend la forme d’une conférence. Les présentateurs, Joël et Joëlle, expliquent l’origine de leurs idées : un simple carton abandonné quelque part chez Emmaüs. À l’intérieur, des documents divers, lettres, carnet, feuille de route, plans, tout ce qui est nécessaire à la réalisation du projet de sauver la Terre. Ce projet, c’est un nouveau départ pour l’humanité qui se lie à un scénario de fin du monde : une sélection d’hommes et de femmes envoyés vivre, la mémoire effacée, dans des stations spatiales isolées, alors que le reste de l’humanité sur terre est condamné à l’extinction à cause de son infertilité.

Une histoire de science-fiction dystopique qui n’est pas sans rappeler Les Fils de l’homme de P.D. James ou Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Très vite, cette « conférence » s’attaque à des sujets captivants de la vie dans l’espace des « stationautes », qui vivent dans des conditions toutes particulières : un lieu sans intimité ou les seuls objets à disposition sont des carnets vierges et des crayons. Entre exposé scientifique et narration des aventures vécues sur la station sont abordés des thèmes tels que la mémoire, la sexualité, le crime, la mort ou encore le retour sur terre. Des sujets qui sont traités sérieusement, mais aussi avec beaucoup de légèreté et d’humour.

Alors qu’aujourd’hui nous sommes plus qu’habitués aux effets spéciaux, élément indispensable pour tout film de science-fiction dans l’espace, il est surprenant de voir comment les deux acteurs, avec de simples projections et des sons, arrivent à plonger le spectateur de manière tout aussi convaincante dans une aventure spatiale. Ainsi est proposée une visite guidée de la station spatiale par une projection d’images très simples en trois dimensions. Plus simple encore : l’aventure de la découverte du sas de décompression, jouée devant une image fixe d’un rétroprojecteur, en une sorte d’ombres chinoises, en plus sophistiqué. Le tout est accompagné d’effets de voix, mais aussi d’une musique synthétique futuriste des années 1980, jouée directement sur scène depuis une véritable boîte à outils modifiée en instrument.

L’esthétique des années 1980 est omniprésente, de l’apparence des acteurs en habits flashy aux rares objets présents sur scène : table, chaise, rétroprojecteur, projecteur à bobine. Un écart  temporel qui permet dès le départ de garder une certaine distance face à cette solution pour sauver la Terre qu’on identifie comme issue d’un imaginaire obsolète du futur.

Cette mise en scène de science-fiction fonctionne avant tout grâce à une alternance très efficace entre la conférence et la représentation de la vie des « stationautes ». Des basculements qui s’accompagnent de changements réguliers d’espaces scéniques avec une utilisation variée des multimédias. Les acteurs, sans confusion et avec humour, endossent divers rôles entre le conférencier et les « stationautes ». Malgré le format de conférence explicative, Quitter la Terre absorbe ses spectateurs en les poussant à la réflexion et en leur faisant imaginer les scénarios de fin du monde.

Sans grands moyens technologiques, d’effets spéciaux, d’images de l’espace ou de vaisseaux spatiaux, la compagnie SNAUT fait Quitter la Terre au spectateur, le transportant vers un monde imaginaire lointain, nouveau, dans un texte intelligent et léger, dans un genre, la SF, inhabituel sur la scène, et qui fait du bien !

10 juin 2017


Satire galactique

10 juin 2017

© Jeanne Quattropani

À la fois conférence flegmatique et drame science-fictionnel, Quitter la terre mélange les genres pour ébaucher un portrait de l’être humain risiblement touchant. Avec une nonchalance clownesque, Joël (Maillard) et Joëlle (Fontannaz) plongent dans l’imaginaire d’un vieux carton et en ressortent une question : expédiés en orbite dans une capsule spatiale, comment survivraient des hommes condamnés à vivre ensemble ?

Cela commence comme un colloque. Sur le plateau, un écran et un rétroprojecteur, une table bleue et deux intervenants. Elle en rose, lui en turquoise. Dans la lumière chaude de la salle, ils nous présentent un carton trouvé dans une cave, rempli de carnets de cuir noir. D’abord, on ne comprend pas. À qui étaient-ils, de quand datent-ils ? Du futur, semblerait-il. D’un futur post-apocalyptique imaginé par un génie inconnu croyant avoir trouvé le moyen « d’infléchir la tendance de l’Homme à bousiller son monde ». Sa solution est élémentaire : déclencher un cataclysme sur la terre, puis la repeupler. Mais son procédé, quant lui, est un peu plus compliqué…

Avant tout, se projeter dans le futur. Imaginer qu’il faille quitter la terre. À cause d’une baisse drastique de la fertilité, par exemple. Ensuite, élaborer des réserves à survivants (dans notre cas, des stations cylindriques de 500 lits chacune avec jardin intérieur, crayons et papier, bibliothèques vides, sans fenêtre ni tampons). Et puis, sélectionner les survivants. Puisqu’ils doivent vivre ensemble, ils doivent pouvoir s’entendre. Instaurer alors une amnésie générale. Pas de trait de caractère particulier, pas d’ambition, de carrière ou de religion. Seulement une masse. Enfin, ajouter de la musique pour calmer les esprits.

Telles sont donc les données de la grande expérience de pensée de cette pièce multiforme qui se module au fil des étapes. Sur fond de musique électronique, la vie dans la capsule se matérialise sur la scène par des artifices ingénieux : une projection sur l’écran du fond, elle derrière le tulle et lui devant, et la salle de conférence laisse place au grand hall du vaisseau. Les lumières baissent, un micro résonne et, soudain, le comédien voûté devant son schéma nous embarque avec lui dans le tunnel de la capsule. Entre deux diapos de PowerPoint, nous voilà ainsi ballottés dans ce monde de la médiocrité aseptisée, qui ne le restera pourtant pas bien longtemps.

Très vite, des questions concrètes. Que faire des corps des morts qui jonchent le sol de la station ? Où copule-t-on sans cloisons ? Comment faire caca en open space ? Peu à peu, ce qui avait commencé comme une hypothèse scientifique délirante voit ses spationautes s’autonomiser. Heureusement (ou malheureusement ?), les tendances de l’Homme semblent refaire surface. De même qu’on réussit à « insulter son ex au téléphone dans un train bondé » sans gêne, les survivants de Quitter la terre s’adonnent rapidement à des séances de fornication collective. Et quand arrive la première agression, le besoin d’établir un système judiciaire s’impose de lui-même. Politique, littérature, dessins. Danse : elle se jette dans ses bras, il la laisse tomber et elle aussi, elle se laisse tomber. Elle se relève. Elle se jette dans ses bras, il la laisse tomber et elle aussi, elle se laisse tomber. Elle se relève… Génération après génération, le microcosme se recrée une mémoire et redevient société. Irrépressiblement, ses habitants se rapprochent de leurs ancêtres terriens, disparus depuis longtemps lorsque les stations regagneront enfin la planète. Alors, entre deux rires et deux rêveries, on est amenés à se demander : éradiquer les hommes et tout recommencer, est-ce que ça changerait quelque chose ?

10 juin 2017


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