Printemps des compagnies / Théâtre des Osses / du 19 au 21 mai et du 25 au 27 mai 2017 / Plus d’infos
Trois pièces en guise de perce-neige…de mai
La grande déesse rouge (Pourquoi as-tu laissé au cheval sa solitude ? / Conception Marie-Gili-Pierre d’après le recueil de Mahmoud Darwich / Mise en scène Natacha Koutchoumov / du 19 au 21 mai 2017 / Plus d’infos)
L’exil, c’est lorsque l’on part et que l’on ne reviendra pas. C’est la nostalgie des chants, des paysages arides de sa terre, des quatre murs qui résistent malgré notre départ et de l’enfant en soi qui restera là, sur ses idéaux bafoués. Une fois le pied posé sur l’autre rive, c’est l’indéniable nécessité de recréer son propre espace parmi la foule : Marie Gili-Pierre, entrant sur scène au Théâtre des Osses, nous y rend attentifs. Elle aborde ses propres thématiques en s’appropriant les vers de Mahmoud Darwich puis leur donne vie par ses gestes qui ressortent rouges sur le fond noir de la scène. Un instant poétique dans toute sa simplicité pour saisir la difficulté de vivre, au-delà des ruines et des obstacles.
Marie, dans sa robe rouge claquant, paraît pourtant si timide et maladroite. Comme une enfant, elle avance à petits pas parmi des assemblages en acier jaune fluo qui forment des cadres protecteurs au-dessus d’elle. Le regard des spectateurs ne sait où se poser parmi ces teintes vives, un peu comme dans une nuit étoilée, lorsqu’on hésite entre la ville éclairée et le ciel brillant. C’est une entrée facile, sans détours ni chichis, dans le monde poétique. Marie aborde le public d’un ton familier et confie ses pensées inhibées, ses impairs en tant que comédienne affublée d’une silhouette charpentée et si présente sur scène. On croit voir une fleur dans des décombres. Comment faire face au sentiment d’être si massif et imposant dans l’espace vide de la scène ? Faire meuble, se fondre dans le décor, ou décider d’habiter chaque recoin ? Marie nous montre comment s’approprier l’endroit hostile, là où l’on rencontre le regard des autres. Le spectateur ressent une chaleur qui émane de chacun des mots de cette comédienne au passé certainement lourd. Elle ouvre les portes de ce corps imposant et nous livre ses coups de cœur, dont ce titre Pourquoi as-tu laissé au cheval sa solitude ? qui lui (et nous) rappelle son parcours entre sa discrétion d’antan et sa renaissance en femme à l’identité solide.
« Ainsi comme les fenêtres, j’ouvre sur ce que je veux » : on admire la puissance de son élocution et la manière avec laquelle, forte de ses émotions, elle déclame les vers du poète palestinien. Je suis étonnée de voir sa réaction pleine de sang-froid face aux nuisances sonores dans la pièce, qui détournent notre attention. Marie, arborant son sourire et des yeux brillants qui balayent la salle, baisse parfois son regard, nous perd, mais nous reconquiert vite. Elle traverse et déplace les cadres d’acier et puis se pose comme une grande déesse de l’agriculture sur la terre de Palestine. Les tableaux qui défilent devant nous sont peut-être ces lieux où – appuyé contre un mur, à genoux sur le sol ou regardant vers le ciel – le poète écrivait. Marie, comme une fenêtre, nous raconte comment choisir ses souvenirs et se rappeler de ce qui fait du bien, même lorsqu’un ennemi, en Palestine, tape à la porte et qu’on ne peut plus sortir de chez soi lors du couvre-feu.
Et d’un coup trop brusque, on quitte le monde de l’imaginaire et on entend le poète et son oncle dans un reportage en toile de fond, qui livre les débâcles de la guerre en Palestine. Les cadres d’acier deviennent ces maisons esseulées, ils montrent les murs qui s’écroulent et où, même dans les grands madafés, le plaisir de palabrer n’est plus. Mais notre espace n’est plus là, il est ailleurs maintenant – là où l’exil nous a menés – et, seul, le cheval continue de se repaître dans le champ sec.
La fleur de l’âge dank eines Freundschaftspaktes (Welcome to paradise / de Nathalie Sabato, Ursula Hildebrand et Anne Jenny / mise en scène Julien Schmutz / du 19 au 21 mai 2017 / Plus d’infos)
Parmi les verres à demi pleins et les bouteilles de grand vin débouchées, deux amies, unies l’une à l’autre comme de solides branches d’arbres, s’esclaffent sur leur âge mûr. Les deux actrices partagent un passé commun d’amitié et ont inventé une langue aux inspirations germanophones, francophones avec même un peu d’italien que l’on retrouve dans cette création. D’une pierre deux coups : la pièce revisite sur un mode polyglotte le mythe de l’immortalité d’Eos et Tithon et notre tabou de la vieillesse. Accrochez-vous, c’est déjanté !
Deux quinquas, l’esprit en fête et ivres de bonheur après un festin de reines, se dessinent dans le halo des bougies. Autour d’elles, des cadavres de bouteilles, des mégots, mais aussi des suites de verre en cristal jonchent sur le sol. Le regard s’arrête sur les ombres portées de chaque objet. C’est un moment de grâce, comme un tableau d’une fête impie. Les deux femmes aux cheveux de belle louve se sont mises sur leur trente-et-un, elles détaillent en long et en large les différents moments de la grande ribouldingue, s’enorgueillissent d’avoir autant la forme alors que Fanny, l’une d’entre elles, vient de souffler ses 51 bougies et elles dansent le tango, juchées sur des talons aiguilles, loin de tout tabou social : après tout qu’est-ce qu’être vieille ? Y-a-t-il vraiment un tournant défini ou est-ce plutôt une affaire de volonté ? Ces femmes sont magnifiques dans leurs parures de fête et n’ont aucune retenue. On fume, on s’éclate, bref la vie dans la fleur de l’âge.
Si vous ne connaissiez pas l’humour outre-sarin, c’est l’occasion rêvée. Les chaussettes rouges sur un ensemble vert sombre, prévoir un salto mortem du haut d’une falaise pour le prochain anniversaire alors qu’on avait déclaré soi-même, oui, soi-même, vouloir vivre en colocation avec ses vieilles amies toute sa vie. On saute d’un extrême à l’autre, d’une langue à l’autre même – das ist richtig dämlich !
Au fil du spectacle, pour changer un peu de l’humour frôlant le sol, on aime l’évocation des grands mythes comme celui d’Eos et Tithon… mais n’oublions pas qu’Eos a oublié de demander à Zeus la jeunesse éternelle pour Tithon – une erreur de débutant, ma foi ! Les deux noctambules revisitent également le mythique pacte faustien…livrer le salut de son âme au diable pour une jouissance éternelle, physique (la clope au bec, l’alcool à flots mais aussi l’élégante souplesse) et morale : l’amitié n’a pas de prix et ces deux femmes, célibataires, s’envolent à deux … Welcome to paradise ! Mais pas n’importe comment ! Un shot d’immortalité joue le rôle de Méphisto et voilà qu’on se retrouve dans la Auerbachs’ Keller.
Dans cet univers festif et léger sur le thème de l’immortalité, on traite pourtant de l’inéluctable avancée vers la mort. La manière des deux artistes d’aborder ce thème épineux calme nos propres peurs. Plusieurs noirs, comme pour symboliser les ruptures entre les différentes saisons de la vie permettent aux comédiennes de se changer sur scène. Du théâtre où l’on voit tout, même le temps qui passe : une aubaine!
Le temps marque leurs visages de soie, elles deviennent zombie puis golem et créatures de pierre, à la manière de ces mélèzes vieux de plus de mille ans. On s’esclaffe parce qu’elles ne pourront plus mourir, oui, mais on réalise aussi la beauté de ce temps sans arrêt, lorsque les deux femmes se figent à jamais, entourées de sacs plastiques anti-écologiques, tels des récifs dans l’eau éternelle.
Celui qui enferme ne peut être libre (¡Viva la revolucion! / De Zita Félixe et Céline Cesa / du 19 au 21 mai 2017 / Plus d’infos)
Sus à la couardise et aux prisons ! Les spectateurs sont confortablement assis au Resto-Bar et dégustent les dernières gouttes de la soirée. Viennent trois chanteuses, Céline Cesa et le duo des deux sœurs Amélie et Mathilde Cochard, comme pour mettre du piment dans ce manoir éclairé aux candélabres et riche en mets exquis : tommes à l’ail des ours, vins peuplés de goûts mélodieux, glace à la fleur de lait et au coulis fraise basilic. Le trio, déjà présent à Bulle et à Bâle avec ce spectacle en 2016, rapporte les mots fâchés, les mots déçus et ceux d’espoir des plus grands révolutionnaires. Neruda, Martin Luther King, Jean Sénac et Eluard… Les chanteuses murmurent, déclament ou racontent entre les lettres au poids lourd de résistance les paroles de ¡ Viva la revolucion! qui nous élèvent par-delà l’oppression. Et c’est ainsi que l’on comprend pourquoi la révolution est aussi signe d’amour et qu’elle féconde des années meilleures à venir.
« Qui osera dire que l’enthousiasme ne nous entraîne pas vers le précipice et que le printemps est accessible ? » Elles, justement.
Leurs voix, pures, nous font chavirer. Leurs facultés de polyglottes ont de quoi satisfaire les spectateurs de tous horizons ; même les passionnés de Schlager y trouveront leur compte. On applaudit avec entrain mais, au-delà des interruptions provoquées par certaines approximations de la technique et le manque de fluidité des enchaînements, un regret : celui que la soirée devienne trop vite un quizz musical, où l’on cite de grands noms – ce qui n’enlève toutefois rien à l’exquise beauté des textes choisis.