Ressacs

Ressacs

Création de la Cie Gare Centrale (BE) / Théâtre des Marionnettes de Genève / du 16 au 21 mai 2017 / Critique par Jehanne Denogent. 


La ronde des objets

19 mai 2017

©Cie Gare Centrale

Au Théâtre des Marionnettes, les objets prennent vie et embarquent un couple dans des aventures aux rebondissements invraisemblables. Fait de bric et de broc, de trucs et de stocks, de clichés et de second degré, l’univers de la Cie Gare Centrale a de quoi déconcerter !

Once upon a time… un plateau débordant d’objets : un rail de train électrique, une mouette empaillée, un bateau miniature, des figurines de dinosaures, un petit orgue, une poupée, deux perruques, de minuscules arbustes en plastique, deux survêtements de sport, un caddie riquiqui, une toque de fourrure … Au centre de ce véritable cabinet de curiosités, derrière une table cachant bien d’autres trouvailles révélées petit à petit : deux êtres en chair et en os. Elle, Agnès Limbos, est une figure emblématique du théâtre d’objets, forme d’expression au carrefour du théâtre de marionnettes, du théâtre de comédiens et des arts plastiques. Avec son acolyte Gregory Houben – trompettiste dont les notes ouvrent le spectacle – ils s’emploient à donner vie à la matière. Car autant que les comédiens, les figurines, les vêtements ou le bateau vont incarner une histoire, celle d’un couple aux destins improbables. Pour retracer leurs aventures, les objets sont manipulés, jetés, ramenés, tour à tour illustration, clin d’œil ou personnages. L’univers d’Agnès Limbos, qu’elle décrit comme un « grand magasin », est farfelu et on y entre avec étonnement !

Once upon a time… la phrase rythme le spectacle, répétée au début de chaque nouveau rebondissement. Mais il était plus qu’une seule fois pour le couple qui semble cumuler plusieurs vies. Ruinés par la crise des subprimes, ils se dépouillent de leur première mue – maison, jardin, Toby le chien – pour prendre la mer. La traversée, figurée par la manipulation d’une frégate miniature, semble les faire sortir du XXIe siècle et de ses aléas économiques pour accoster en Afrique à l’époque coloniale. Là est peut-être la force de l’objet, comme le suggère Agnès Limbos, pour qui il forme « un langage suggestif, à la fois poétique et cinématographique. » Sur le continent africain, développant une culture bananière extrêmement lucrative, Madame et Monsieur s’enrichissent en un temps record…avant de tout perdre, à nouveau. La troisième vie de ce couple a commencé. Il y en aura cinq. De l’une à l’autre, pas de lien réaliste ou logique. C’est l’imaginaire des comédiens, absurde et décalé, qui assemble ces épisodes éparpillés.

Once upon a time… un spectacle presque entièrement en anglais, mais imprégné de forts accents français. Surprenant, ce choix permet de convoquer de nombreux imaginaires liés à une culture anglophone – comme les espoirs du rêve américain, l’image de colons anglais ou la prononciation du Français bafouillant ine anglich – en les tournant en dérision. La pièce joue constamment sur ce second degré, reprenant les clichés pour mieux s’en moquer. Le rire est féroce. Il s’attaque indifféremment à tous les travers humains, au point qu’on ne sait plus vraiment ce qu’il critique ou défend. Derrière cette ironie constante, il est difficile de situer la sincérité du propos. Faut-il se fier par exemple à la morale finale appelant les hommes à s’adapter aux circonstances de la vie, proposition qui pourrait éclairer le destin tumultueux du couple ? Ou est-ce encore une plaisanterie ? Sur quel niveau d’interprétation danser ? Il ne semble y avoir que la ronde des objets sur laquelle s’appuyer.

19 mai 2017


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