MDLSX
Compagnie Motus / Avec Silvia Calderoni / Théâtre de Vidy / du 9 mai au 13 mai 2017 / Critique par Artemisia Romano et Marek Chojecki.
Autour du corps
11 mai 2017
Par Artemisia Romano
Dans MDLSX, Silvia Calderoni nous ouvre à son intimité, à sa quête d’identité sexuelle dans une société où l’ambivalence des genres est son combat quotidien. Au travers de sa performance, elle dénonce avec engagement, humilité mais aussi révolte sa condition d’intersexué dans un monde hétéronormé et parvient à une réappropriation totale de son corps.
Silvia Calderoni nous livre les récits personnels de son enfance en tant que petite fille, de son adolescence et de sa puberté, de ce corps qui grandit mais qui ne se développe pas comme le corps de ses coéquipières de hockey qu’elle observe dans les vestiaires. Puis l’annonce des médecins lui révélant son intersexuation. « De quoi s’agit-il, suis-je anormale » et, surtout, « en quoi ? ».
Elle nous dévoile que son corps a servi toutes les curiosités : du cobaye pour les scientifiques au support à un imaginaire mythologique. Sa trajectoire personnelle témoigne de la violence et du rejet vécu par un corps vivant dans un monde où l’impératif d’une identité stable domine. De la bête de foire aliénée, Silvia Calderoni, à travers la performance, réinvestit son corps et son identité en un être libéré et opère ainsi un déplacement de regard, de l’étrangeté à la bienveillance.
Suivant la forme d’un dj-set, les épisodes de sa vie sont rythmés par la musique Poprock (The Knife, Gonzales, Stromae, The Yeah Yeahs, Air, The Smiths, …) dans un cadre sonore électrique, et dans un univers visuel suggérant le cosmos. Une immense bâche triangulaire argentée, des tables sur lesquelles sont posées des platines, une boule à facettes. Elle tient à la main une micro-caméra dont l’image est projetée sur un écran tel un miroir-loupe, un zoom sur elle, pour voir de plus près cette matérialité androgyne. Ce reflet d’elle-même l’accompagne dans tous ses gestes et mouvements. Car en plus d’être une conteuse, Silvia Calderoni fait mouvoir et sauter son corps au rythme des sons. Paroles et danses s’alternent, créant un dialogue dynamique et donnant l’impression qu’après les mots, le corps doit lui aussi s’exprimer, se libérer.
Le corps, donc, au centre de la performance, est visible dans sa plus grande intimité et dans toute sa pluralité : tout d’abord vêtu, puis nu, puis revêtu. Les vêtements dits féminins et masculins défilent, ils sont portés tour à tour. Son corps se fige parfois : une pose rappelant le christ crucifié, le martyre. Sous nos yeux, ce corps offert nous apparaît femme, homme, puis simultanément homme et femme. L’interférence des genres est palpable. Finalement, c’est la figure de la sirène que ce corps va embrasser, créature légendaire mi-femme mi-poisson incarnant la fluidité et la souplesse ; serait-ce un moyen de s’émanciper de cette rigide bi-catégorisation des sexes ? MDLSX questionne la notion même d’identité, fait table rase des catégories et bouscule la normalité et ses frontières. On en ressort bouleversé.
11 mai 2017
Par Artemisia Romano
L’histoire d’un corps
11 mai 2017
Par Marek Chojecki
MDLSX, un titre intrigant. Que veut-il dire ? Que va-t-on voir ici ? Un mélange entre théâtre et performance, une combinaison dont on ne sait pas trop quoi attendre. Une incertitude conforme au sujet du spectacle qui traite d’un corps androgyne et pose la question de l’intersexuation. Seule sur scène, Silvia Calderoni y répond par une mise en scène originale et une histoire touchante.
La salle a une lumière rose tamisée, un grand tapis triangulaire et argenté jonche le sol entre les spectateurs et le fond de la salle. Là-bas, une longue table constitue l’unique décor et divers objets, lampes, micros, une table de mix et un ordinateur sont posés dessus. C’est très beau, esthétique, mais cela ne dissipe pas l’inquiétude autour de ce MDLSX. Ces premiers sentiments s’évaporent instantanément lorsque sur le mur du fond, dans un grand cercle qui fait office d’écran, est projetée une vidéo. C’est une émission de la télé italienne des années 90 avec un enfant qui chante (avec beaucoup de difficulté) une chanson en karaoké. Moment drôle, mais un peu gênant aussi. Ce n’est que lorsque Silvia Calderoni arrive sur scène que l’on comprend que l’enfant, c’est elle-même.
MDLSX n’est donc pas seulement une combinaison entre théâtre et performance. C’est aussi un documentaire, la biographie d’une androgyne intersexe. Silvia Calderoni partage avec nous une histoire dont plusieurs passages sont documentés par de réelles images d’archives de son enfance, une mise à nue touchante et qui crée un lien profond entre le public et l’actrice.
La transmission vidéo live est presque constante grâce à une petite caméra portable que l’actrice utilise pour projeter son image sur l’écran. La forme ronde de celui-ci rappelle un miroir dans lequel apparaît régulièrement le visage de Silvia Calderoni, créant ainsi l’impression de s’immiscer dans la vie intime de l’actrice à travers une caméra cachée. La mise en scène de Enrico Casagrande et Daniela Nicolò place l’actrice presque essentiellement dos au public, seule la caméra nous montre son visage. Cela choque quelque peu au début, puis on s’y habitue pour finalement applaudir à cette proposition osée, car elle rend unique l’intensité des rares moments où l’actrice s’approche du public en lui faisant face. C’est comme regarder un documentaire, suivre une histoire et, tout à coup, voir la personne apparaître devant nous.
La musique aussi structure la pièce, avec vingt-trois morceaux joués et mixés en live par l’actrice telle une DJ sur scène. Ils s’insèrent comme des interludes entre des parties de l’histoire, mais soutiennent aussi la narration en se mélangeant au texte. Le nom des groupes et les titres des morceaux sont projetés, et sont sans doute significatifs, comme Human fly des The Cramps ou Road to nowhere des Talking Heads. Certaines paroles peuvent être perçues comme un écho du spectacle, lorsqu’on écoute par exemple Formidable de Stromae. Mais beaucoup d’autres groupes sont encore joués, comme Buddy Holly, The Smiths ou encore Air qui permettent de maintenir très efficacement le rythme du spectacle.
Au-delà de cette histoire à caractère biographique, le spectacle mène une réflexion approfondie sur l’intersexuation, sans pour autant poser des postulats engagés ou promouvoir des réclamations identitaires. Au fil du spectacle, l’actrice s’interroge au travers des concepts nietzschéens d’apollinien et de dionysiaque, ou encore au travers de la divinité grecque Hermaphrodite. Il y a même un enregistrement audio d’interview d’une professeure de l’Université de Paris sur ce que sont les « Queer Studies » et sur ce qu’elles signifient. Des axes de réflexion qui n’engloutissent pas pour autant l’histoire principale, mais qui permettent de manière fine de se questionner avec l’actrice.
Seule chose que l’on peut regretter c’est que la pièce soit présentée de manière à pouvoir faire hésiter de potentiels spectateurs. Un titre peu évocateur, une présentation qui souligne une performance contemporaine abstraite, des descriptions qui sous-entendent des postulats engagés. En résulte une inquiétude devant l’entrée du théâtre. Pourtant MDLSX est un titre qui mélange Musique, Danse, Lumières, Sons et seX à travers une histoire dynamique, drôle, intrigante et surtout pleine d’émotion et très touchante.
11 mai 2017
Par Marek Chojecki