Ça ira (1) Fin de Louis / De et mise en scène Joël Pommerat / Comédie de Genève (Bâtiment des Forces Motrices) / 02 au 03 mai 2017/ Plus d’infos
Quels sont ces canons qui retentissent par ces fraîches nuits de mai au cœur du Bâtiment des Forces Motrices ? La Révolution frappe aux portes et déstabilise le public genevois : l‘auteur-metteur en scène Joël Pommerat et sa troupe présentent Ça ira (1) Fin de Louis et nous replongent dans les bas-fonds d‘une Révolution que l‘on pensait, à tort, exsangue. Cette pièce d‘exception, montée au Théâtre de Nanterre-Amandiers pour la première fois en 2015, a reçu un an plus tard le Molière du Théâtre Public – et notre reconnaissance de spectateurs envoûtés cette année.
Le frisson et l’aveu de faiblesse
Il y a les canons et la fumée, les immenses façades noires au bord de l’affaissement, alors bien sûr, on bouillonne et on sursaute sur nos sièges. Les répliques fusent de l’avant-scène, des côtés et en fond de salle, comme si les comédiens souhaitaient harponner leur public à coups d’arguments. Versailles : le ministre des finances Muller, un homme à l’air distingué dans son costard gris, coudes sur la table, annonce à la Noblesse une réforme pour redresser les finances. On tambourine, on applaudit à tout va… cette réforme sera effective sous peu, d’ici cinq à dix ans, comme à chaque fois. C’est le début d’un dialogue politique envenimé et il nous faudra parfois nous réfugier dans le creux de nos épaules pour échapper aux clameurs assourdissantes. Le peuple est à bout, partagé entre l’amour qu’il ressent pour son roi, la crise financière et la famine qui s’installe. Est-on vraiment en 1789 ?
Hier, demain et aujourd’hui le dialogue
Les murs pivotent et forment le prochain tableau. Le conseil des privilégiés se retire pour laisser place à une journaliste madrilène, prête à affronter la foule. Elle commente, à une vitesse vertigineuse, le rassemblement qui s’est formé autour du nouveau ministre. Les tirades sont violentes, le tiers état hue et incrimine le gouvernement de Louis XVI pour toutes les difficultés qu’il subit. Les commentaires saccadés de l’Espagnole ajoutent du piment aux propos. On apprécie ce type de variations mélodiques tout au long de la pièce : que la langue soit teintée d’un accent slave ou belge, le but est surtout de faire revivre le dialogue cacophonique des foules lorsqu’il y a conflit politique, quel que soit le temps et l’espace.
Ces allers-retours historiques sont notamment encouragés par le décor d’une salle parlementaire actuelle qui répond même au nom d’Assemblée nationale, comme l’indique un panneau d’affichage en fond de scène. Bien qu’il s’agisse de l’intrigue historique de 1789, des éléments trahissent sa transposition dans un univers contemporain : en smoking ou tailleur, on proclame des milliards de déficit, au lieu de centaines de mille. Ce lien fort construit entre passé et présent autour de l’idée d’un dialogue politique opérant par boucles répétitives confère à la pièce de Pommerat une indéniable portée philosophique.
Savoir négocier contre l’exécutif
Le fil rouge – et bientôt ensanglanté – se déploie entre chaque acte : Paris est une véritable fourmilière, dans laquelle s’agitent les délégués des soixante districts. Deux figures de proue se dégagent de ce tas humain grouillant sur scène : Mme Lefranc, membre de l’extrême gauche et M. Gigart qui ne cesse de retourner sa chemise. Leur rôle grandit à mesure que l’idée d’une Assemblée Nationale, destinée à réunir les délégués des trois corps de la société française d’Ancien Régime (Noblesse, Clergé et Tiers État) s’affirme. À l’extérieur des États généraux, les assemblées de quartier déplorent la fin du négoce, les commerçants ont fermé boutique et le peuple assiste, infatigable, à la crise des États généraux tandis que les ventres des citoyens gargouillent. Le roi Louis XVI, au crâne poli par les années, ne sait d’abord pas où se placer face à l’émergence d’une voix populaire qui pourrait s’élever contre le pouvoir exécutif qu’il est censé représenter. Est-il fusionnel avec son peuple, comme l’illustre cette scène où l’on voit trois femmes s’agripper à son cou, ou tente-t-il d’écraser les Parisiens en perdant petit à petit le contrôle de son armée?
Il se prétend détenteur du pouvoir suprême et c’est en le voyant ainsi affublé d’un costume trois pièces aux côtés de sa blonde platine – la reine –, que l’on revient dans notre sphère parlementaire où le recours au 49.3, la gouvernance par décret, fait toujours fureur.
Ça finit toujours par aller…
Quel pied de nez à la misère, lorsque la conseillère de la reine et cette dernière se prélassent contre le billard alors que le chaos règne au dehors. Elles se fatiguent d’elles-mêmes en faisant rouler les billes pour écraser leur ennui. Et pourtant, ce sont bien les vieux rouages de ce système politique en faillite qui auraient besoin de leur huile de coude. Le port altier et la démarche énergique du roi ne sont plus que les fantômes d’un monde révolu. Il semble, lui aussi, contaminé par l’indifférence de sa compagne à l’égard de la situation et il déclame ce mantra, devenu obsolète face à la révolte : malgré tout, « ça ira » – un clin d’œil au refrain des sans-culottes en 1792 :« Ah ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates on les pendra ! »
Face à ce tableau de personnalités apathiques, on se dit d’abord que la « Fin de Louis », qu’annonce le titre, sera bénéfique pour les Français. Mais en regard des tête-à-tête musclés entre les divers représentants des assemblées, on peut se demander si le peuple est vraiment prêt pour la liberté. La suite au prochain épisode.