Par Ivan Garcia
Mouvements / De Virgile Delmas / Mise en scène Virgile Delmas, Marie-Gabriel Mansour et Omid Zadeh / Compagnie Bleu Ciel / La Grange de Dorigny / Festival Fécule / mercredi 26 avril 2017 / Plus d’infos
Dans ce foyer de la Grange de Dorigny plus que rempli, un voyage se prépare. C’est dans une ambiance onirique et conviviale que les comédiens et comédiennes de Mouvements vont nous faire traverser le monde en quête d’un secret bien gardé. Est-ce un rêve ? Est-ce une autre facette de la réalité ? Pour le savoir, il faut se laisser entraîner dans le mouvement des danses, des histoires et des musiques.
Au milieu d’une scène féeriquement éclairée par quelques chaudes lumières trône un grand écran blanc. Celui-ci finit par s’allumer et nous montre quelques séquences de films enchaînées entre elles. Tandis que nos yeux s’égarent sur ce vaste écran, un mystérieux narrateur susurre des sentences au sens opaque, mais pleines de bienveillance philosophique. L’invisible énonciateur nous exhorte ainsi à plonger avec lui dans le monde étrange des rêves, en quête d’une réalité plus profonde.
Soudainement, l’écran se lève et laisse place à un décor asiatique sur fond orange. Deux personnages, un maître taoïste et sa disciple, discutent. Le premier converse en langue orientale (cela semble être du chinois) tandis que la seconde nous traduit ses paroles, qui nous indiquent la voie pour accéder à l’un de nos plus bas niveaux de conscience, celui du rêve. Une fois le rituel de passage au monde onirique achevé, l’écran masque à nouveau la scène.
Par la suite, la représentation alternera tour à tour entre la narration de différentes histoires mettant en scène les croyances de divers peuples sur les rêves, et des assemblages cinématographiques. Ces séquences visuelles créées à partir d’images d’horizons divers (cinéma américain, images de guerre, plongées dans la mer,…) permettent à notre esprit de se reposer et de se laisser porter par une atmosphère onirique. Chaque histoire évoque un pays différent et ses spécificités spirituelles, et notamment certaines de ses croyances sur les phénomènes liés au monde du rêve. Le spectateur voyagera ainsi de la Chine à l’Amazonie, en passant entre autres par le Maroc et la Grèce. En somme, si les histoires exposent les croyances oniriques de certains peuples, les instants vidéo-ludiques nous permettent de nous confronter à ces conceptions en nous les faisant expérimenter directement.
Si certaines histoires parlent plus à notre imaginaire collectif que d’autres, comme les joutes verbales entre Apollon et Dionysos ou encore cette histoire d’un voyageur de Marrakech qui nous fait étrangement penser à L’Alchimiste de Paulo Coelho, il est certain que chacun y trouvera une source d’inspiration qui enrichira son expérience personnelle. Dans cette optique, le spectateur, comme le veulent les anciennes croyances présentées dans la pièce, doit se transformer en voyageur qui, sans jamais trouver de point fixe, est en perpétuel mouvement pour aller à la rencontre d’horizons inconnus, que ce soit par le biais d’une danse souple comme celle qu’effectue un jeune Indien devant nous, par celui de la musique ou simplement en regardant les vagues de la mer. Une démarche somme toute originale et qui nous permet de retrouver des singularités oubliées.
Sans faire cas de quelques problèmes techniques guère gênants pour les comédiens et le public, la représentation échappe peu à peu au domaine visuel pour intégrer la dimension auditive à son atmosphère. A l’aide d’un grand nombre d’instruments du monde (clarinette, tambourin, luth et autres), des comédiens, devenus musiciens, viendront interpréter des mélodies de type oriental qui accentueront encore l’effet de dépaysement amorcé par cette étrange errance.
Si le dépaysement est effectivement un effet voulu par les comédiens, ceux-ci ne souhaitent pas pour autant que le spectacle bascule dans les clichés les plus banals et misent à la fois sur une mise en scène originale et un symbolisme mystique (taoïsme, cartes de tarot) pour susciter la curiosité du spectateur et l’entraîner ainsi dans leur monde.
Loin pourtant de se cacher derrière un ésotérisme obscur, Mouvements est une performance philosophico-poétique qui amène les spectateurs à remettre en question les distinctions dualistes qui leur font voir une frontière nette rêve et réalité, afin de les pousser à expérimenter plus simplement les émotions enfouies en eux.