Où en est la nuit ?
Mise en scène de Guillaume Béguin / Par la Compagnie de nuit comme de jour / La Comédie / du 4 avril au 9 avril 2017 / Critique par Marek Chojecki.
4 avril 2017
Par Marek Chojecki
La nuit tombe sur l’Écosse
« Le noir est clair » disent les sorcières de Macbeth. Où en est la nuit ? de Guillaume Béguin propose une adaptation libre de Macbeth de Shakespeare dans laquelle le metteur en scène nous invite à regarder le noir pour réussir à y voir un peu plus clair. Mais il arrive aussi que le noir reste noir.
À l’origine de ce spectacle, il y a l’histoire shakespearienne d’un général de l’armée écossaise, Macbeth, qui rencontre lors de son retour de guerre trois sorcières. Elles lui prédisent la gloire et la couronne. Cette prophétie empoisonne l’esprit de Macbeth ainsi que celui de sa femme, Lady Macbeth, et les pousse au régicide pour atteindre le trône. Leurs actes criminels ne sont cependant pas sans conséquence ; peu à peu la culpabilité et la suspicion les font sombrer dans la folie ; après un court règne, Lady Macbeth met fin à ses jours, alors que Macbeth succombe à la démence face aux nobles venus chercher justice.
La lecture de cette tragédie de Shakespeare est ici proposée dans un décor qui se compose principalement d’escaliers géants, qui s’étendent sur toute la largeur de l’arrière-scène, durant toute la pièce. Un mécanisme permet de créer une ouverture au milieu de ces escaliers, offrant ainsi une entrée sur la scène. Les grands escaliers font aussi office d’écran pour la projection vidéo – un procédé utilisé abondamment tout au long du spectacle – et que le spectateur peut regarder en même temps que le jeu des comédiens à l’avant-scène. La vidéo est un élément clé, les acteurs se filmant eux-mêmes avec des caméras portables sur la scène, et même dans les coulisses, augmentant par là l’espace de l’action. Le quatrième mur est rapidement brisé. Des techniciens entrent parfois sur scène avec leur casque et leur micro pour changer l’emplacement des décors et des accessoires. Autre invité : un musicien qui durant la moitié du spectacle compose en live musiques et bruitages avec sa guitare électrique. Il participe à la création d’une atmosphère oppressante, car la musique, quasiment omniprésente, est souvent faite de sons désagréables.
Guillaume Béguin réinterprète les personnages présentés par Shakespeare en brouillant délibérément les identités sexuelles. Il respecte à la lettre la description des sorcières comme des « femmes barbues ». Cette esthétique transgenre teinte l’ensemble des personnages. Certains nobles sont ostensiblement interprétés par des actrices dotées de fausses barbes, quand certains personnages féminins, comme Lady Macduff, sont interprétés par des acteurs. Le costume de Macbeth crée un effet de contraste, ses longs cheveux ébouriffés et sa grande barbe lui donnent un aspect préhistorique, alors que ses habits, un gilet militaire au début, puis un costume noir lorsqu’il devient roi, sont contemporains. Des éléments contradictoires du même ordre habillent les autres acteurs, sans doute pour qu’il soit impossible de les fixer dans le temps ou dans l’espace, mais le caractère composite des costumes donne l’impression d’un choix aléatoire.
L’interprétation libre de Macbeth que propose Guillaume Béguin présente plus généralement un univers scénographique dont on peine à déceler la cohérence interne. Toute la première partie de la pièce se déroule dans différents lieux, entre le champ de bataille, le château du roi et enfin celui de Macbeth. Ces lieux sont ici représentés par les mêmes éléments de décor : un dortoir avec quelques lits simples disposés sur la scène. Les acteurs se couchent dans des lits ou s’asseyent sur des chaises et semblent ainsi disparaître aux yeux des autres qui continuent à jouer debout. Un choix qui retire toute idée d’intimité des personnages et la possibilité de monologues adressés seulement à eux-mêmes. Certaines tirades tragiques de Macbeth, comme celle où se précise son intention de tuer Duncan avec la fameuse vision d’une dague invisible, perdent de leur intensité, ainsi prononcées au milieu d’un dortoir encombré d’acteurs. Lorsqu’on commence enfin à discerner l’univers de ce spectacle, le couronnement de Macbeth marque une rupture. A partir de ce moment-là, les lits sont enlevés, le musicien disparaît et le hors-scène retrouve sa place derrière les coulisses.
La direction des acteurs est également difficile à comprendre au premier abord. Leur jeu est particulièrement neutre, surtout là où l’on s’attendrait à voir jaillir des émotions. Tout semble prononcé sans excès et l’on est particulièrement choqué lorsque Macbeth, après avoir tué le Roi Duncan, annonce « c’est fait » sans aucune émotion apparente. Ce n’est pourtant pas le jeu d’un Macbeth froid et insensible, on y voit plutôt de la stupidité, de la naïveté ou de l’inconscience. On ressent de la frustration et de l’impatience face à ce volontaire manque d’expressivité. On doit se contenter de brefs haussements de voix de Lady Macbeth : dans cette atmosphère impassible, ils sont appréciés avec soulagement.
Ce choix est lié à la démarche de Guillaume Béguin qui veut faire du personnage de Macbeth une figure de transition. Il se réfère au livre d’Elias Canetti, Masse et Puissance, dans lequel il est question de tribus africaines qui choisissent au hasard un homme de très basse condition pour le nommer « roi pour rire » durant une semaine de transition entre deux rois. Cette vision burlesque de Macbeth est poussée à l’extrême lorsque durant la scène du banquet royal en son honneur, lui et Lady Macbeth arrivent, excessivement maquillés, et vêtus d’habits kitchs de toutes les couleurs. Ce moment du spectacle est le fruit d’un vrai re-travail dramaturgique : au lieu de représenter la scène de fête attendue, Guillaume Béguin et Michèle Pralong ont inséré un extrait du Songe d’une nuit d’été, que Macbeth propose alors à ses invités. Il impose à ses convives de jouer les rôles de Démétrius, Hermia, Lysandre et Héléna. Tout y semble malsain, entre le mauvais jeu de ces convives, l’excès de zèle qui se traduit par une réelle tentative de viol d’Hermia par Demetrius, le tout régulièrement interrompu par les crises d’angoisse et les visions de Macbeth. Cette vision du théâtre sans réflexion, nu et malsain proposé par Macbeth met mal à l’aise. Ce « roi pour rire » arrive même à faire rire la salle au moment de sa mort, symbolisée simplement par le fait que Macduff le pousse hors de la scène en direction des spectateurs : son temps de jeu est ainsi terminé.
Autre modification par rapport au texte original : le spectacle de Guillaume Béguin propose d’emblée une réflexion sur l’amour. Le spectacle commence avec un texte interprété par un personnage nu, seul sur scène, qui rappelle la théogonie grecque, le récit de la genèse des dieux de Ouranos à Kronos, en accentuant particulièrement la présentation des dieux de l’amour, Éros et Aphrodite. Ce prologue centre donc le spectacle sur le couple de Macbeth et Lady Macbeth. Cependant, le jeu très neutre des acteurs ne montre aucune interaction entre eux, et on a de la peine à voir le développement d’une relation, ou même un lien amoureux entre les deux personnages principaux. La mort de Lady Macbeth se passe sur scène, sous les yeux de Macbeth, qui ne semble pas s’en préoccuper plus que cela. Cette sobriété semble induite par le texte original dans lequel Macbeth déclare presque indifféremment : « Elle aurait dû mourir dans un autre temps ». Développer la question de l’amour dans une mise en scène qui réduit au maximum l’expressivité des acteurs avait sans doute pour but de provoquer un effet de contraste ; cela peut tout de même brouiller la réception.
Durant 2h45 cette interprétation libre de Macbeth peine à faire émarger un fil conducteur. Des questions restent en suspens et semblent irrésolues. L’incompréhension du spectateur face aux cruels actes de Macbeth dans la pièce de Shakespeare se lie à l’incompréhension de ce que l’on voit ici sur la scène. Au titre interrogatif de la pièce Où en est la nuit ? on est tenté de répondre : « je ne sais pas ».
4 avril 2017
Par Marek Chojecki