Festival Fécule 2017
Festival Fécule 2017 / du 24 avril au 6 mai 2017 / Grange de Dorigny / Critiques par Ivan Garcia et marek Chojecki.
26 avril 2017
Par Ivan Garcia
Mouvements / De Virgile Delmas / Mise en scène Virgile Delmas, Marie-Gabriel Mansour et Omid Zadeh / Compagnie Bleu Ciel / La Grange de Dorigny / Festival Fécule / mercredi 26 avril 2017
Mouvements : Voyage au bout du rêve
Dans ce foyer de la Grange de Dorigny plus que rempli, un voyage se prépare. C’est dans une ambiance onirique et conviviale que les comédiens et comédiennes de Mouvements vont nous faire traverser le monde en quête d’un secret bien gardé. Est-ce un rêve ? Est-ce une autre facette de la réalité ? Pour le savoir, il faut se laisser entraîner dans le mouvement des danses, des histoires et des musiques.
Au milieu d’une scène féeriquement éclairée par quelques chaudes lumières trône un grand écran blanc. Celui-ci finit par s’allumer et nous montre quelques séquences de films enchaînées entre elles. Tandis que nos yeux s’égarent sur ce vaste écran, un mystérieux narrateur susurre des sentences au sens opaque, mais pleines de bienveillance philosophique. L’invisible énonciateur nous exhorte ainsi à plonger avec lui dans le monde étrange des rêves, en quête d’une réalité plus profonde.
Soudainement, l’écran se lève et laisse place à un décor asiatique sur fond orange. Deux personnages, un maître taoïste et sa disciple, discutent. Le premier converse en langue orientale (cela semble être du chinois) tandis que la seconde nous traduit ses paroles, qui nous indiquent la voie pour accéder à l’un de nos plus bas niveaux de conscience, celui du rêve. Une fois le rituel de passage au monde onirique achevé, l’écran masque à nouveau la scène.
Par la suite, la représentation alternera tour à tour entre la narration de différentes histoires mettant en scène les croyances de divers peuples sur les rêves, et des assemblages cinématographiques. Ces séquences visuelles créées à partir d’images d’horizons divers (cinéma américain, images de guerre, plongées dans la mer,…) permettent à notre esprit de se reposer et de se laisser porter par une atmosphère onirique. Chaque histoire évoque un pays différent et ses spécificités spirituelles, et notamment certaines de ses croyances sur les phénomènes liés au monde du rêve. Le spectateur voyagera ainsi de la Chine à l’Amazonie, en passant entre autres par le Maroc et la Grèce. En somme, si les histoires exposent les croyances oniriques de certains peuples, les instants vidéo-ludiques nous permettent de nous confronter à ces conceptions en nous les faisant expérimenter directement.
Si certaines histoires parlent plus à notre imaginaire collectif que d’autres, comme les joutes verbales entre Apollon et Dionysos ou encore cette histoire d’un voyageur de Marrakech qui nous fait étrangement penser à L’Alchimiste de Paulo Coelho, il est certain que chacun y trouvera une source d’inspiration qui enrichira son expérience personnelle. Dans cette optique, le spectateur, comme le veulent les anciennes croyances présentées dans la pièce, doit se transformer en voyageur qui, sans jamais trouver de point fixe, est en perpétuel mouvement pour aller à la rencontre d’horizons inconnus, que ce soit par le biais d’une danse souple comme celle qu’effectue un jeune Indien devant nous, par celui de la musique ou simplement en regardant les vagues de la mer. Une démarche somme toute originale et qui nous permet de retrouver des singularités oubliées.
Sans faire cas de quelques problèmes techniques guère gênants pour les comédiens et le public, la représentation échappe peu à peu au domaine visuel pour intégrer la dimension auditive à son atmosphère. A l’aide d’un grand nombre d’instruments du monde (clarinette, tambourin, luth et autres), des comédiens, devenus musiciens, viendront interpréter des mélodies de type oriental qui accentueront encore l’effet de dépaysement amorcé par cette étrange errance.
Si le dépaysement est effectivement un effet voulu par les comédiens, ceux-ci ne souhaitent pas pour autant que le spectacle bascule dans les clichés les plus banals et misent à la fois sur une mise en scène originale et un symbolisme mystique (taoïsme, cartes de tarot) pour susciter la curiosité du spectateur et l’entraîner ainsi dans leur monde.
Loin pourtant de se cacher derrière un ésotérisme obscur, Mouvements est une performance philosophico-poétique qui amène les spectateurs à remettre en question les distinctions dualistes qui leur font voir une frontière nette rêve et réalité, afin de les pousser à expérimenter plus simplement les émotions enfouies en eux.
6 mai 2017
Par Ivan Garcia
1er mai 2017
Par Marek Chojecki
L’écharde / Écrit par Amina Gudzevic / Par la compagnie Avant-Garde / Mise en scène Amina Gudzevic et Marion Werlyi / Festival Fécule 2017 / 1er mai 2017
L’écharde : convaincre par l’art
Un attentat ! Et il a eu lieu ici, près de chez nous ! L’écharde touche des problématiques actuelles liées aux médias, à la différence entre l’information et la vérité, à la médiatisation des attentats terroristes ou encore à l’éthique journalistique. Des sujets complexes et osés sous la plume d’Amina Gudzevic, étudiante à l’Université de Lausanne, présentés par la troupe non-professionnelle Avant-Garde pour le Festival des cultures universitaires, le Fécule.
On suit Simon (Hadrien Praz), un journaliste sans grand succès qui en ce jour a été choisi pour couvrir le récent attentat terroriste. Pour lui, c’est une grande opportunité, une occasion de devenir le reporter qu’il a toujours rêvé d’être. Son enthousiasme est confronté à la retenue de sa femme Constance (Fiona Lamon) qui voit dans cet évènement uniquement l’horreur et la souffrance des victimes et leurs familles. Sous la pression de son chef Marc (Thibault Hugentobler), Simon ne laisse aucune place au doute et doit trouver une personne rescapée du drame pour une interview. Après des recherches infructueuses, il trouve finalement Lola (Orlane Volckaert), une ancienne amie de Constance. Cette actrice orpheline au passé compliqué a réussi à échapper au drame, mais elle ne souhaite pas confier à Simon son expérience traumatisante, ne voyant pas l’utilité de partager la souffrance qu’elle ressent. De plus, les mots ne suffisent plus pour s’exprimer dans ces cas extrêmes. Pourtant ils arrivent à trouver un langage commun à travers les arts et une performance artistique réalisée sous nos yeux. Une expérience qui transforme Simon : le jeune homme décide d’abandonner son article, un geste qu’il se doit de faire en tant que journaliste.
Cette histoire, qui suit l’évolution du regard de Simon sur l’attentat et sur son métier de journaliste, donne lieu à une mise en scène redoutablement efficace qui lui donne une grande résonance. Avec seulement quatre simples panneaux de tissu blanc, divers espaces sont créés. On passe régulièrement de la maison de Simon et Constance au bureau de Marc ou encore au Conservatoire de Lola, pourtant chaque lieu est instantanément identifiable : une esthétique minimaliste qui donne un charme et une efficacité particulière à ce décor. Les transitions sont rapides et entièrement maitrisées ; dans une lumière tamisée, les acteurs changent l’emplacement des panneaux accompagnés de la musique des Black Sabbath, des Stoned Jesus ou des Egocentrics. On peut seulement regretter que certaines scènes soient si courtes : elles s’enchaînent parfois très rapidement. Il faut aussi souligner le jeu des lumières et les ombres des acteurs subtilement projetées sur les panneaux.
La performance-témoignage, cette tentative d’exprimer le drame vécu, est au cœur de L’écharde. Avec les quatre panneaux placés au centre, un jeu d’ombres chinoises est créé par Orlane Volckaert qui prend différentes poses de corps terrifiés, recroquevillés et souffrants, tandis que Hadrien Praz, avec des bombes de peinture, esquisse les silhouettes, puis finalement les traces avec la peinture rouge. En dernier lieu sont dessinés deux yeux qui observent toutes ces silhouettes. Des images très fortes qui, en effet, se suffisent à elles-mêmes, soutenues par une musique omniprésente qui s’intensifie. On ne peut que regretter ici encore que tout se passe si vite et avec empressement : on a à peine le temps de contempler, alors que c’est si beau à voir…
La surprise est cependant à venir, puisqu’après cette performance, toutes les scènes changent drastiquement d’intensité. Et pour cause : les mêmes panneaux portant maintenant ces silhouettes tracées et ces yeux sont réutilisés comme auparavant pour créer les espaces scéniques. Ils semblent dès lors prendre vie et regarder les acteurs en créant un environnement très oppressant. Une transformation du décor qui va de pair avec la transformation de Simon.
Parmi toutes ces bonnes surprises, on peut toutefois reprocher à l’écriture d’Amina Gudzevic une dimension trop académique, qui souhaite mettre en avant de manière démonstrative des arguments et des exemples. La confrontation entre Simon et son chef Marc est significative : Simon, dans son argumentation, fait référence au tableau « Guernica » de Picasso, en montrant les panneaux. Ces derniers, jusque-là perçus comme une création unique et spécifique, ces silhouettes créées par Lola et Simon qui se suffisent à elles-mêmes, sont tout à coup censées représenter quelque chose d’autre, de beaucoup plus grand et distant. On voit l’intérêt d’un lien avec Guernica, mais en faire avec insistance l’aboutissement explicite de la performance ne laisse plus de place à l’interprétation, au doute et aux questionnements qui laisseraient le spectateur avec ses propres réflexions. En procédant ainsi, le spectacle ne se donne pas la possibilité de développer une vision véritablement originale sur le sujet. D’ailleurs, cherche-t-on vraiment a être convaincus, lorsqu’on va au théâtre ?
Saluons malgré tout dans le travail d’Amina Gudzevic et Marion Werlyi l’audace de s’attaquer aux sujets actuels frontalement et sans détour. Certainement à suivre pour leurs prochaines créations !
6 mai 2017
Par Marek Chojecki