Landru

Landru

Mise en scène de Yoann Pencolé – Cie Zusvex / Théâtre des Marionnettes de Genève / du 4 au 13 novembre 2016 / Critiques par Jehanne Denogent et Valmir Rexhepi. 


Mais où sont passés les corps ?

6 novembre 2016

© Diana Gandra

Où sont passés les corps des victimes de Landru ? Enterrés dans le jardin ? Réduits en farine pour en faire des gâteaux ? Envoyés dans l’espace à l’aide de la répulsion terrestre ? En 1921, l’affaire Landru enflamma Paris et attisa les hypothèses les plus follesAujourd’hui, la compagnie Zusvex recourt aux marionnettes pour exploiter l’imaginaire débridé que suscite un fait divers à l’allure de conte.

Rappelons les faits : Henri Désiré Landru, né en 1869 à Paris, est accusé le 7 novembre 1921 d’avoir escroqué et tué onze femmes, ses épouses. Chargé d’enquêter sur l’affaire, Jules Belin réussit à démasquer les fausses identités sous lesquelles se cachait Landru et à l’inculper des onze meurtres. Toutefois, un blanc subsiste dans le dossier : les corps des victimes n’ont pas été retrouvés.

C’est la tête de Landru qui sera exigée lors du procès, mis en scène ici par Yoann Pencolé. Sur le plateau, une grosse tête, barbue, animée par la main d’un comédien placé derrière elle. Elle trône sur un piédestal, comme la sculpture d’un héros sanguinaire dont la réputation égale la barbarie. La marionnette de Landru, les yeux révulsés au repos, prend vie avec l’aide de son double humain. Bien présents, eux, les corps des comédiens ne s’effacent pas derrière les têtes-marionnettes. Les portant à la main, ils jouent avec elles. Le dispositif produit de jolies trouvailles et images : comme l’étreinte de réconfort entre un homme et une marionnette. Cela permet de livrer un regard pluriel sur cette affaire et de donner corps aux différentes identités de Landru, manifestées aussi par la diversité des procédés de leur représentation : théâtre de papier, jeux d’ombres, marionnettes… Provocateur, Landru lançait à la Cour : « Vous parlez toujours de ma tête, Monsieur l’avocat général. Je regrette de n’en avoir pas plusieurs à vous offrir ! ». Nous offrir plusieurs têtes, c’est le défi que relève la compagnie Zusvex !

En 1921, Paris a vu en Henri Désiré Landru un homme sombre, schizophrène, fou. La pièce ne manque pas de dépeindre cette part d’ombre. Mais à cette folie marginale s’ajoute celle d’une époque qui a vu tant de têtes tomber. Sur le mur du fond, en ombres chinoises, se découpe la fresque d’une bataille de la Première Guerre mondiale. Où sont les corps des soldats morts au combat ? Ils ne font pas l’objet d’un procès. La pièce ajoute des têtes au banc des victimes et des accusés. Elle ouvre des pistes, sans toutefois être prescriptive. La mise en scène ne tranche pas et maintient une part de mystère. Autant qu’aux faits, la compagnie Zusvex s’intéresse en effet à l’imaginaire et à la fascination que suscite ce genre d’affaires. Sous les traits des marionnettes, la fiction s’immisce entre les faits historiques. Prenant !

6 novembre 2016


Aller-retour

6 novembre 2016

© Diana Gandra

D’une cour de justice au début du XXsiècle aux planches du Théâtre des Marionnettes de Genève aujourd’hui, le procès de Henri Désiré Landru conserve ses aspects spectaculaires et mystérieux.  Mesdames et messieurs les jurés, voici les faits :

Il a une tête immense, Landru, qui attire les regards, les piège. Et puis c’est tout, Landru est une tête, juste une tête sculptée. Historiquement, c’est un criminel français célèbre accusé des meurtres de plusieurs femmes et dont le procès, au sortir de la Première Guerre mondiale, eut un écho retentissant dans la presse de l’époque. Il est là, face à nous, sur son socle, une main de marionnettiste dans le crâne, à l’arrière, qui lui ouvre les paupières, une autre qui lui active la mâchoire. Une voix, la sienne, qu’un autre lui prête, caverneuse. Devant nous va se jouer son procès, entrecoupé de retours sur l’enquête qui permit son arrestation.

La création de la Compagnie Zusvex, grâce à un dispositif scénique simple et maîtrisé, parvient à nous faire revivre l’ambiance spectaculaire de ce procès, où chaque partie cherche l’assentiment du public. Un voile noir translucide, presque diaphane, divise l’espace scénique en deux dans sa largeur, servant à la fois de support de projection, de cloison qui laisse apparaitre l’intérieur d’une chambre, ou encore de mur d’un tribunal ; une vieille radio qui émet les voix de la foule venue assister au procès ; un éclairage tout en subtilité, tamisé, donne à l’ensemble la tonalité de ces tableaux clair-obscur  du XIVet XVe siècle : les traits sont soulignés sans pour autant atteindre l’évidence, la certitude. Un procureur sans tête expose les éléments de l’accusation : tout indique que Landru est coupable, mais il manque les corps des victimes, preuves ultimes.

Doucement, de la fumée sort d’un poêle. Blanche, sans consistance, elle s’élève : une de ses victimes ? C’est l’heure des hypothèses du commissaire. Ce dernier s’exprime au bout du bras d’un comédien, comme d’ailleurs les différents aliénistes et autres psychologues chargés d’étudier le cas de Landru ou encore la maîtresse de Landru. Les personnages de l’histoire, construits par métonymie, sont comme Landru, des têtes sculptées. Les marionnettistes les meuvent et parfois commentent les faits : c’est alors un aller-retour entre l’histoire qui se joue grâce aux marionnettes et l’histoire qui se raconte grâce aux comédiens narrateurs.

Le procès s’achève : qu’on lui coupe la tête ! Une projection d’ombres chinoises sur le voile noir présente une foule aux visages de rats qui cerne un visage carré, la bouche ronde et la mèche de biais. Guillotine.

6 novembre 2016


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