Fête du Théâtre
Genève / du 11 au 16 octobre 2016 / Critiques par Jérémy Berthoud, Alice Moraz, Ivan Garcia et Valmir Rexhepi.
11 octobre 2016
Par Jérémy Berthoud
À la vie, à la scène ( pour Juste après ou juste avant?)
Situé au bord de l’Arve, le théâtre de la Parfumerie accueille du 4 au 23 octobre la compagnie 100% acrylique et son Juste après ou juste avant?, création haute en couleur mélangeant avec allégresse scène, coulisses et vie réelle.
Dans la vie d’un comédien, il y a des instants capitaux qui assurent la transition entre son rôle et ce qu’il est en réalité: les saluts. Ici, le point central ne sera donc plus la représentation-même, mais sa fin. Les cinq acteurs de la troupe nous donnent ainsi l’opportunité d’assister à plusieurs «dernières scènes», du ballet classique à la comédie musicale déjantée, en passant par l’opéra lyrique, pastichées avec un plaisir non-dissimulé.
Après les applaudissements, tous se retrouvent en coulisses pour trinquer ensemble et se raconter quelques anecdotes. Afin que le public puisse en profiter – et saisir pleinement le passage du rêve au réel –, les loges ont été placées sur le côté cour du plateau, tandis que la scène des spectacles proprement dite se trouve côté jardin. Une caméra a même été placée dans le coin «WC» pour ne rien manquer…
A ces différentes capsules s’ajoutent différents monologues plus sérieux et plus intimes qui, sur fond de musique légère, se présentent comme des petits pans d’autobiographies des artistes. Si la vie réelle s’immisce dans le monde du théâtre, où s’arrête-t-elle? Est-ce que le personnage de Maud, qui perd tout le temps ses affaires, est inspiré de son interprète portant le même nom? Est-ce que l’immense plante verte provient vraiment du jardin de Christian? Il vaut mieux ne pas trop se prendre la tête et se laisser vivre dans le monde tantôt explosif – porté par un humour décalé et des gags récurrents parfaitement dosés –, tantôt plus dramatique que nous offre une compagnie 100% acrylique pleine d’énergie. Des rires au ventre, des questions plein la tête, des amitiés fortes… tout s’entrechoque pour former la vie; celle qui se partage sur une scène de théâtre.
11 octobre 2016
Par Jérémy Berthoud
15 octobre 2016
Par Alice Moraz
Bouffons de l’opéra / de et mis en scène par Benjamin Knobil / Café–restaurant l’Alhambar à Genève / 15 octobre 2016
Émulsion verdienne à la sauce moléculaire (pour Bouffons de l’opéra)
Le metteur en scène franco-américain Benjamin Knobil présente au cœur du café-restaurant l’Alhambar, un vaudeville inspiré de La Traviata de Verdi : une opérette moderne et pleine de saveurs qui parle cuisine et amour.
Plus universel que l’amour ? Plus tragique que les querelles de familles ? Impossible. Et pourtant, les quatre comédiens de Bouffons de l’opéra nous servent (presque sur assiette) une version remixée de l’histoire de Violetta, l’héroïne atteinte de tuberculose dans l’opéra de Verdi. Ici, un mal bien plus actuel touche la jeune première : la maladie de Kreuztfeld Jacob, dite aussi maladie de la vache folle.
Elle, Violetta (Aude Gillieron), cuisinière et propriétaire d’un restaurant bio et moléculaire, a fait de la nourriture saine son combat. Lui, Alfredo (Simon Bonvin), fils de l’industriel Lèselé est héritier de la multinationale familiale. Entre les deux ? Le coup de foudre. Mais c’est sans compter le père, Germont Lèselé (Benjamin Knobil), pour qui produits industriels et cuisine bio forment à coup sûr un mélange explosif. Entre les trois, Gaston : chef musical, compositeur et entremetteur. Si la trame est reconnaissable, l’échappée est autant gustative que narrative.
Cette opérette se joue généralement dans les salles à manger ou les bars des théâtres qui l’accueillent : ce jour-là, l’espace vitré d’un bar genevois dans le cadre de la Fête du Théâtre de Genève. Lee Maddeford, le compositeur et pianiste, ciselle les notes de manière pétillante, déstructurée ou douce-amère. Ses mélodies oscillent entre le jazzy et le mélancolique, le tout remis au goût du jour avec l’incorporation de paroles en anglais par les comédiens. On saluera d’ailleurs la qualité vocale de ces derniers. Un habile travail de la langue et des mots ainsi qu’une métaphore culinaire filée durant tout le spectacle finissent de nous mettre l’eau à la bouche. La fin sera tragique. Car comme le dit Germont Lèselé : « Qu’importe le goût, le progrès a un coût ». Cependant, plus important encore que l’issue du spectacle, c’est une question actuelle qui se cuisine en filigrane. Cette adaptation nous fait réfléchir à nos habitudes alimentaires et à l’uniformisation des goûts prônée par les industriels de la branche.
Au menu, un moment musical et théâtral tout en légèreté malgré le drame de la situation.
15 octobre 2016
Par Alice Moraz
16 octobre 2016
Par Ivan Garcia
Appartiamentum «?Nous vous invitons à nous inviter à vous inviter chez vous?» / de Joël Maillard / mise en scène Camille Mermet, Aline Papin et Cédric Simon / production du Théâtre populaire romand (La Chaux-de-fonds) / Fête du Théâtre / Genève / le 16 octobre 2016.
Les solitudes d’appartement (pour Appartiamentum. Nous vous invitons à nous inviter à vous inviter chez vous)
Un numéro de l’avenue de France, interphone 5-1, un immeuble comme les autres dans un quartier genevois. Avec les autres invités, on boit un peu de tisane et on discute dans le hall en attendant qu’à l’étage, nos hôtes aient fini de préparer la soupe à la courge. Puis, c’est l’heure, on peut monter. On arrive devant la porte et on sonne. C’est alors que tout commence…
Nos deux hôtesses du jour, Aline et Camille, sourires en coin, nous accueillent dans leur humble demeure, un vaste appartement très cosy qu’elles nous font visiter, mais sous toute cette normalité se cache peut-être une histoire bien plus surprenante…
Après avoir admiré les différentes pièces, tu finis par t’asseoir pendant que Camille te demande si tu veux boire quelque chose. Thé froid ? Jus de pomme ? Tout le monde y trouve son compte. On commence à papoter, mais d’étranges bruits se font entendre. Camille s’affole, elle fait des va-et-vient. Personne ne comprend vraiment ce qui se passe. Elle doit amener le voisin du dessous à l’hôpital : nous voici plantés là. C’est alors qu’Aline, restée très silencieuse, commence à nous raconter. C’est vrai, après tout, on est venus chez Camille mais on ne la connaît même pas.
« Aujourd’hui, on n’a plus besoin de sortir de chez soi, ni pour faire les courses, ni pour les relations… », nous explique Aline. Et elle nous raconte l’histoire d’une fille isolée et seule qui rêve d’une vie qu’elle n’a pas et qui s’est trouvée une amie parfaite au cœur de son logement.
C’est l’histoire de cette habitation. Mais il y a autant d’histoires que d’appartements ! Alors si tu veux voir celle(s) que recèle(nt) ton loft, n’oublie pas que « nous vous invitons à vous inviter à nous inviter chez vous » !
16 octobre 2016
Par Ivan Garcia
14 octobre 2016
Par Valmir Rexhepi
Velours avoine / De Noémie Griess / le Saltimbanque / Fête du Théâtre de Genève / 14 octobre 2016
Horizon travail (pour Velours avoine)
Chanter le travail, sa recherche, les désillusions qui l’accompagnent : le projet se donne dans le charme exigu et intime du Saltimbanque, sur des airs disco-futuristes des années huitante.
Ça commence doucement, le velours rouge des rideaux laisse apparaître une tête, celle du régisseur qui nous souhaite la bienvenue. Ouverture : sur un écran une astronaute dont la voix synthétisée lie sa présence à la scène. C’est une vidéo. Cette personne projetée sur l’écran est, par la voix, un personnage. En chair et en os, et en costume d’ours, quelqu’un commence à chanter. Les deux êtres vont s’accompagner souvent, se quitter parfois. D’emblée un jeu qui se construit sur les codes de l’opéra : chanter ce qu’on l’on veut dire, dire en chantant. Noémie Griess (le quelqu’un dans l’ours) s’y attèle avec énergie, elle ne tient pas en place, ou rarement. Elle troquera son costume pour un peignoir, une robe ; mais ce sera toujours elle, qui ne semble jouer personne hormis elle-même.
L’horizon du travail, comme moteur des actions sur scène mais aussi comme limite, tient l’ensemble. À l’opéra s’ajoute quelque chose qui ressemble alors à un blues d’aujourd’hui. Un blues qui ne se fait pas au travail, mais en prévision, en amont. Pourtant, le ton ne se veut pas triste, plutôt drôle ; comme une dérision conjuratoire. Noémie cherche un emploi, elle le chante, elle nous le dit ; le thème est désespérément actuel, le jeu délicieusement gauche, amoureusement taquin. Par-là se fait sentir que l’essentiel est ailleurs, que le rapport au travail ne doit pas éclipser le reste.
Le reste ? Il y a ce moment durant lequel elle nous distribue ce que je croyais être des cartes de visite, comme si on pouvait y faire quelque chose, nous, pour sa recherche d’emploi. À la fin, lorsque la lumière revient, je lis sur la carte un message : « l’amour est un terrifiant privilège ». Je souris.
14 octobre 2016
Par Valmir Rexhepi