La Ballade du mouton noir
Par le collectif Opus 89 Collectif / Equilibre-Nuithonie / du 11 au 21 mai 2016 / Critiques par Nadia Hachemi et Josefa Terribilini.
11 mai 2016
Par Nadia Hachemi
Les Nuithoniens débattent
Quelle est la voie vers un monde meilleur ? Doit-on aller la chercher dans le passé, dépoussiérant le vieux mythe du « bon sauvage » ? Assurément pas, selon Joséphine de Weck et son collectif Opus 89. Le changement c’est ici et maintenant. Dans un spectacle qui suscite tant le rire que la réflexion, toutes les potentialités du dispositif théâtral sont exploitées dans une optique engagée.
« Continuez tout droit jusqu’à un vieil abattoir, et vous les verrez ». Voici l’itinéraire d’un groupe de cinq jeunes campeurs, armés de leurs cartes de la région. Loin de faire du tourisme, ils sont lancés dans une quête. Au bout de leur voyage, ils espèrent rencontrer un peuple idéal : les Nuithoniens. « Ils sont là ! » s’écrient-ils en s’arrêtant, surpris, face au public. Parodie drolatique de l’attitude d’un anthropologue face à une peuplade primitive, jouée par les spectateurs qui voient leur rôle de témoin passif déstabilisé. « Qu’ils sont beaux ! Voyez la lueur d’intelligence dans leurs yeux ! ». Malheureusement la rencontre se révèle bien vite décevante : le modèle d’une société meilleure ne semble pas se trouver dans cette salle. Qu’importe ! Si le public n’est pas constitué de membres de cette communauté idéale, il doit être là pour les attendre avec les explorateurs.
Les motivations de cette expédition s’éclairent à travers les interactions des personnages qui discutent, se disputent, et débattent sur l’avenir du monde. Entre perte de repères et fragilisation des identités, la description d’une expérience postmoderne s’esquisse dans ce débat très politisé. L’UE, Blocher, les initiatives populaires, la nation suisse et ses mythes fondateurs, ils ratissent large ! Le sérieux des thèmes ne plonge pourtant pas le spectacle dans une atmosphère désenchantée. L’humour reste de mise dans ces discussions. Très critique, mais refusant tout pessimisme, le groupe de jeunes perçoit dans les débris du passé les matériaux d’un futur meilleur. Puis, emportés par une musique aussi entrainante que répétitive qui les replonge dans leur quotidien, ils abandonnent le débat. Dans une danse frénétique proche de la transe, ce sont les routines communes à toutes nos vies si banales qui sont mimées, de la douche matinale aux fêtes du samedi soir. Image d’une aliénation qui, malgré la bonne volonté des insurgés, semble irrémédiable.
« Stop ! » L’un des personnages met fin à la danse et même, temporairement, à la pièce. Pourquoi les spectateurs devraient-ils être exclus des discussions ? Ceux-ci sont invités sur scène pour échanger. Une poignée y descend sous les regards curieux et amusés du reste de la salle qui reçoit des rafraichissements de la part d’une des actrices. Le procédé esthétique, usuel dans le théâtre contemporain, qui subvertit le dispositif théâtral en brouillant les frontières entre spectateurs et acteurs, art et vie réelle, est poussé jusqu’à son extrémité et investi d’une cause sociale et politique. Au-delà de ce bouleversement du dispositif artistique, c’est bien le rôle de l’art et du théâtre qui est bousculé. La salle et la scène forment un tout pour devenir un lieu privilégié de débat citoyen. Qui a dit que l’art ne pouvait pas changer le monde ?
La deuxième partie de la pièce se fait plus énigmatique. Etrangement, plus de mention des Nuithoniens. Les explorateurs les auraient-ils effectivement trouvés à leur entrée sur scène ? Inutile de partir à la recherche de la société parfaite, elle est présente en potentialité ici même. Il ne dépend que de nous et de notre imagination de la fonder. Et actuellement à Nuithonie, le collectif Opus 89 Collectif fait le premier pas pour susciter le débat.
11 mai 2016
Par Nadia Hachemi
11 mai 2016
Les Nuithoniens débattent
La Ballade du mouton noir, c’est l’exhortation d’une jeunesse qui refuse d’être la « génération de la dépendance ». Un cri unanime, touchant dans sa pureté, décousu dans sa formulation.
Ils sont cinq et ils cherchent les Nuithoniens. Ainsi débute l’expérience. Il s’agit bien d’une expérience, puisque les personnages (ou comédiens, la frontière est rapidement éradiquée) se livrent à une quête sur plusieurs niveaux pour démontrer et, qui sait, résoudre un problème simple : le monde va mal. Commençons par la fiction. De jeunes gens, sac sur le dos et carte à la main, attendent en pleine campagne l’arrivée du « peuple parfait », ces fameux Nuithoniens, ceux qui devraient avoir compris. Mais ils ne se montrent pas. Ils ne sont pas plus réels, sans doute, que les lacustres d’antan. Ne reste que le public. Alors on cherche ailleurs, on n’abandonne pas, on veut ébranler les normes. On raconte, on débat, on s’interroge. La Suisse est-elle idéale ? A-t-on besoin de mythes fondateurs ? Et puis, les normes du théâtre sont démantelées, elles aussi. On parle au public, on l’intègre. « Ça vous troue le cul que ça sorte, que ça parle ?! ». Courageuse utopie que de vouloir déconstruire les utopies. Difficile toutefois d’éviter les poncifs pour ce jeune collectif plein de fougue, tout juste sorti de l’Insas de Bruxelles.
Leurs idées sont un collage. À l’image de ces énormes cartes géographiques frémissantes abritant les cinq acteurs à la fin du spectacle, ça s’empile, ça s’entrechoque par à-coups, ça se déchire parfois… Et malheureusement, la colle déborde un peu. Il faut dire qu’on y mêle tout : la recherche des Nuithoniens nous rappelle Voltaire, Diderot, les Lumières qui tentaient de trouver un nouveau regard avec lequel questionner leur époque. Sur fond d’électro, on repense aussi au film LEGO lorsque les comédiens gesticulent sous les douches, aliénés par leur routine. Et puis, il y a cette tendance très actuelle : briser le quatrième mur, prendre le public à parti. En faire un acteur puisqu’il doit agir, et agir au-delà de cette salle, au-dehors, dans le monde. Ouvrir les portes et sortir, comme les comédiens. Jolie image, d’ailleurs, que cette dernière scène chantée a capella face au monde, dos à nous mais avec nous. Tous les regards tournés dans la même direction.
Sur la scène nue et noire, les beaux tableaux sont multiples. On entre dans une salle sombre, embrumée et, dès le lever de rideau (ou plutôt l’allumage de lampes de poche), les voilà qui se succèdent au rythme des questionnements. Les parapluies, tantôt tente, tantôt totem, finissent par trouver leur véritable usage sous un ciel endeuillé ; le sac à dos en cuir se fait monstre parlant quand Noémi raconte son abattement. Mais on regrette qu’ils ne soient pas davantage dirigés, ces tableaux. La méthode démocratique de ce collectif qui s’entre-écoute produit une myriade d’idées qui s’entremêlent. Peut-être le spectacle gagnerait-il à faire des choix : les messages s’éparpillent au détriment de la profondeur.
11 mai 2016